Marqués

43 - Ella - Souvenirs

Toute ma vie, que je le désire ou non, j'avais été au centre de l'attention. Je ne m'en étais jamais plainte... Je me souvenais d'une époque lointaine où, encore très jeune, j'étais gênée par les regards. Ça n'avait pas duré longtemps.

J'étais l'enfant prodige... Magnifique. Je ne mentirais pas en prétendant que c'était faux, ce serait d'une mielleuse et abominable hypocrisie. Ma beauté était ancrée en moi. Sans elle je n'aurais été rien.

Elle m'avait modelée... C'était à cause d'elle que les Sylvains m'avaient tant choyée quand j'étais petite. Dans mes lambeaux de mémoire précoce, je me souvenais de quelle façon je passais sans cesse de genoux en genoux. Pas étonnant que j'aie été dégoutée du contact humain. Je me rappelais comme les adultes gazouillaient au moindre de mes mots, au moindre de mes rires. Et puis la fierté dans le regard de mes parents, qui semblaient presque en oublier Alice.

Je savais qu'elle avait été jalouse à un moment donné... Il faut dire que six années avaient séparées nos naissance. Elle était brusquement passée du statut d'enfant unique dorloté, à celui de grande sœur d'une enfant qui éclipsait tout le reste. N'importe qui aurait mal pris sa situation, à ce stade on aurait presque pu parler d'abandon de la part de nos parents. Mais Alice, était déjà à cet âge la plus formidable des personnes ayant jamais existé, a réagi d'une incroyable manière.

Elle s'était dit que si personne ne la regardait plus, elle pouvait mériter et gagner leur attention. Alors elle s'est fondue dans l'ombre, aidant tous ceux qui en avaient besoin, particulièrement les plus jeunes enfants, les orphelins qui vivaient dans les dortoirs mais aussi ceux qui avaient encore leurs parents. Elle répandait le bonheur partout où elle passait, incapable ne serait-ce que d'imaginer faire du mal à quelqu'un. Personne ne pouvait la détester.

Et mieux que tout, elle ne m'en a jamais voulu de l'avoir écartée du devant de la scène. Ça aurait été une réaction normale chez la plupart des personnes, mais pas pour Alice. C'était la seule à comprendre que j'étouffais au début sous toute cette attention, la seule à qui j'osais seulement en parler. Elle était toujours là pour moi, et elle m'aimait comme je l'aimais, d'un amour inconditionnel.

Comment quelqu'un pouvait-il être si gentil ? Surtout que je n'étais pas toujours très sage... J'étais si mignonne que j'avais été amenée à me faire des tas d'amis. Tout le monde voulait attirer mes faveurs, et par là celles des adultes. Mais les seuls moments où j'étais vraiment heureuse étaient lorsque je n'étais qu'avec elle et Alex, notre voisin et son meilleur ami, même si je n'avais jamais douté qu'ils se rapprocheraient en grandissant. Ils étaient faits l'un pour l'autre, le couple parfait.

J'avais été élevée côte à côte avec la fille qui allait ensuite devenir ma meilleure amie, la petite fille de la dirigeante. C'était bien logique, n'est-ce pas, que l'enfant la plus jolie et celle qui allait sans doute un jour gouverner s'entendent bien. Au début, ce n'avait pas été si simple. En façade, nous restions ensemble, conscientes que c'était ce que nos proches souhaitaient voir, mais quand ils n'étaient pas en notre présence nous ne faisions que nous battre. Elle était bien plus sensible que moi, et j'aimais beaucoup la faire sortir de ses gonds. Je me souvenais bien de toutes ces fois où je l'avais poussée dans la boue de la forêt, et regardé sa grand-mère la gronder d'avoir tachée sa robe devant les adultes, pendant qu'elle blêmissait, sa fierté l'empêchant de pleurer et d'avouer que c'était ma faute. Qui l'aurait cru, si elle l'avait fait ? D'un regard innocent, je pouvais convaincre n'importe qui de ma version de l'histoire.

Je la taquinais également beaucoup sur le garçon dont elle était amoureuse, même toute petite. Je la trouvais bien bête à rougir ainsi chaque fois qu'il venait nous parler, et m'amusais à le charmer devant elle. J'étais prête à tout pour faire craquer la fillette, sans jamais me faire prendre.