41 - Ella - La Sphère

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Trop de souvenirs résonnaient entre ces rues froides. Tant et plus, qu'à force d'ignorer j'avais presque fini par oublier.

Mais je m'en fichais bien. Ce n'était pas de simples images floues qui allaient m'empêcher d'atteindre mon but.

C'était sans doute l'un des avantages d'avoir le pouvoir d'illusion. J'avais pleinement conscience de ce qu'une simple vision pouvait créer chez une personne. Folie, désespoir, haine, amour, peur, colère, j'étais la reine des émotions. Je contrôlais tout.

C'est pourquoi je n'étais pas aussi influençable que tous les moutons naïfs qui peuplaient mon quotidien. Non seulement je décidais de leurs opinions, mais puisque je savais leur faiblesse j'évitais la mienne.

Pas grand monde dans les rues, comme la veille en fait, et comme à l'époque où j'avais vécu ici.

J'étais une autre personne alors.

Mais à présent j'étais forte, j'étais capable d'assumer mes choix et je n'avais plus rien pour m'arrêter. J'avais appris de mes erreurs, j'avais évolué.

Après avoir vérifié que personne n'arrivait dans la rue, je n'eus aucun mal à escalader le bâtiment qui me faisait face, à la force de mes bras et mes jambes, balançant celles-ci jusqu'à trouver des prises qui supporteraient mon poids. Je me souvenais que fort longtemps auparavant, je n'étais pas capable d'une telle prouesse. Cela avait failli me tuer. Alors je m'étais entraînée, et j'en étais bien heureuse à présent.

Je repris mon souffle en arrivant sur le toit, plat comme celui de l'Académie et de l'Infirmerie. En réalité, je n'étais même pas fatiguée après la journée de marche et de recherche, et l'escalade des deux étages, et malgré mes trois heures dérisoires de sommeil.

Ce n'était qu'une habitude à prendre, après tout. Je savais que rapport à mon physique, personne ne me croirais si je disais ma facilité à faire cela. D'extérieur je ne paraissait pas en avoir la force, ce dont j'étais assez fière pour dire vrai. Au besoin, dans les cas où je souhaitais me faire sous-estimer, je rentrais dans la tête de mes chères victimes pour me faire paraître encore plus frêle que réalité.

Ma vie n'était qu'un long bluff, un interminable jeu de rôle dont je ne me lassais jamais. Et j'allais bientôt gagner la partie.

Je repris ma marche, tranquillement à travers le toit, cherchant une entrée. Je n'avais pas peur d'être vue, j'étais invisible aux yeux de tous ceux qui pourraient me surprendre.

Je finis par tomber sur un escalier de secours, et avant de m'y engager usai de mon Habilité pour fouiller la perception des esprits les plus proches. Je ne sentis rien en-dessous. J'entrepris donc ma descente.

Je grimaçai en entrant par une porte ouverte par mes soins et ceux de ma fidèle épingle à cheveux. Je n'étais pas claustrophobe... Mais ce n'était pas faux de dire que je préférais rester à l'extérieur. Le vent, la pluie... Eux ils me comprenaient, ils me masquaient, me protégeaient. Ne mentaient jamais. Ne trahissaient jamais. Pas comme ces stupides êtres humains.

J'aimais le grand air. L'intérieur me donnait l'impression d'étouffer. Cela expliquait sans doute pourquoi mes années d'errances me manquaient parfois. À l'époque, je n'avais aucune règle à respecter, aucune limite. J'étais libre.

J'aimais bien la forêt de la Société. Je me souvenais encore de ces fois où nous nous étions enfuie de l'enceinte protégée grâce à mes pouvoirs avec ma meilleure amie... juste pour nous promener dans les bois, et comment nous nous faisions gronder ensuite. Mais nous recommencions malgré tout, parce que nous avions la même soif de liberté.

Tant de choses avaient changé depuis.

Aujourd'hui était le dix octobre, la colline devait être en fête. Si un problème plus urgent n'avait pas nécessité mon attention, c'est là-bas que je me serais trouvée à ce moment plutôt que dans ce couloir sombre.

MarquésWhere stories live. Discover now