Chapitre 43 - Partie 1/2

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— Oui, je leur ai dit pour Luc. Matthieu, calme-toi, souffla-t-elle doucement.

Toujours occupé à faire les cents pas, je voulais m'assurer que sa déposition auprès de la police était assez explicite pour que personne ne ressorte de cette affaire sans payer le prix de ses actes. Et ça valait également pour Luc. Surtout pour Luc. Je lui avais posé la question plusieurs fois, peut-être même trop de fois.

— On y va ? demanda-t-elle alors, presque impatiente.

Je me retournai pour lui faire face et acquiesçai doucement avant de la rejoindre pour pousser son fauteuil roulant. Aujourd'hui, c'était sa première sortie depuis son arrivée à l'hôpital. Nous allions pouvoir nous rendre dans le parc de l'hôpital et y passer quelques temps. Nous nous étions organisés pour qu'elle voit ses parents, sans moi, et que je puisse avoir du temps rien qu'avec elle. C'était bien mieux ainsi.

— Alors tu sors demain ? nous interpella une infirmière dans le couloir.

— Vous m'avez assez vue, répondit Aly tout sourire.

— Crois-moi, on aimerait avoir plus de patients comme toi. Mais on est contents que tu t'en ailles, c'est une bonne chose pour toi !

Nous continuâmes notre avancée dans les couloirs du service orthopédique qu'Aly quitterait le lendemain matin après dix longues journées passées ici. Malheureusement, elle n'allait pas rentrer de sitôt. Ni mon appartement, ni celui de son père n'était conformes pour la recevoir, que cela soit avec un fauteuil ou avec des béquilles. Elle passerait les prochaines semaines en Soins de suite et de réparations. Ce à quoi j'avais eu la chance d'échapper, j'ignorais encore comment.

— Bon, tu peux me laisser me débrouiller un peu ? tenta-t-elle en sortant de l'hôpital.

— Hors de question, répondis-je tout en continuant de la pousser. C'est tout ce que je peux faire pour t'aider alors je te pousse.

Elle protesta quelques instants avant de comprendre qu'elle n'aurait pas gain de cause. Je la conduisis jusqu'à ce qu'elle m'arrête près d'un banc sur lequel je m'assis, face à elle.

— Ça fait du bien de respirer de l'air frais, souffla-t-elle en souriant.

— Je connais cette sensation, répondis-je.

Même si elle souriait et que j'étais heureux de la voir ainsi, autre chose était palpable. Elle sortait le lendemain, mais le SSR dans lequel elle allait être admise était excentré. Il fallait compter trois bons quarts d'heure de route et nous savions tous les deux que nous ne pourrions pas nous voir aussi régulièrement que durant les semaines passées. Entre mon travail et les horaires de visites, ça allait être assez compliqué. Nous en avions conscience tous les deux mais aborder le sujet ne mènerait très certainement à rien. Alors je profitais de ce dernier jour à ses côtés sans savoir quand je pourrais à nouveau passer du temps avec elle. Et j'appréhendais cet épisode sans elle au quotidien. Tout comme j'appréhendais les mois à venir. Nous étions empêtrés dans nos histoires avec H pour des mois encore et quelque chose en mois me disait qu'Aly n'arriverait pas à avancer sans que toute cette histoire ne touche à sa fin, sans que le procès ne soit terminé, sans que chacun d'entre eux ne soit condamné. Je m'estimais heureux de n'être pas déjà derrière les barreaux, à croire que les chefs d'accusation n'étaient pas assez convaincants pour m'envoyer en détention provisoire. J'avais été tellement préoccupé par la situation d'Aly que je n'avais pas pleinement mesuré l'ampleur de ma chance d'être encore libre. Ce n'était que là, dans ce parc, face à elle, que je réalisais que nous nous en sortions plutôt bien.

Le lendemain

« Je suis bien arrivée. La chambre est toute petite mais ton pingouin veille sur moi. Je t'aime. » C'était le message qu'elle m'avait envoyé à son arrivée au SSR. Et moi j'étais resté comme un con devant mon écran sans savoir quoi répondre. Alors j'avais attendu, et encore attendu. J'avais travaillé, jusqu'à oublier le sentiment qui m'avait envahi à la réception de son message, un sentiment que j'étais incapable d'identifier. Ces quelques mots, ces derniers mots... Comment réagir ? Comment répondre ? Georges avait vu que je me tuais à la tâche, comme à chaque fois que quelque chose m'affectait. Mais il avait mis ça sur le compte de son départ, qui n'y était pas totalement étranger non plus.

***

— T'es vraiment un con, lâcha-t-elle de vive-voix.

Me redressant du capot dans lequel j'étais en train de vérifier les niveaux d'huiles, je fis face à une Julia hors de ses gonds. Soupirant nonchalament, j'attrapai un chiffon pour m'y essuyer grossièrement les mains salies par mon quotidien au sein du garage. J'y passais chaque jour, même le week-end, depuis plus de trois semaines.

— La dernière fois que j'ai déboulé comme ça sur le lieu de travail de quelqu'un, on m'en a foutu plein la gueule, fis-je remarquer.

J'avais été énervé contre Aly et je m'étais rendu sur son lieu de travail sans y avoir été invité, elle me l'avait reproché, et elle faisait maintenant exactement la même chose. A une chose près : je savais exactement pourquoi elle était là. Sa main s'approchant dangereusement de moi, j'eus le réflexe d'attraper son poignet pour éviter sa gifle, même si je savais qu'elle était méritée. Elle se dégagea tout aussi rapidement, le regard noir.

— Tu as une minute pour me donner la raison de ton comportement, et ça a intérêt à être valable même si j'imagine difficilement comment ça pourrait l'être.

— Sinon quoi ? tentai-je.

— Qu'est-ce qui tourne pas rond chez toi Matthieu ?

— Tu veux vraiment que je te fasse un dessin ? ironisai-je.

Détournant le regard, je replongeai dans mon capot pour terminer ce que j'étais en train de faire avant que les clients n'arrivent. J'étais dans les temps, mais je n'avais pas anticipé la visite surprise de Julia ici. En m'attrapant le bras, elle me fit me détourner de mon activité pour me forcer à lui faire face à nouveau. Une nouvelle fois un soupir m'échappa.

— Je te reconnais plus Matthieu, s'agaça-t-elle.

— J'ai changé Julia ! répondis-je fermement. J'ai changé et il va falloir que vous l'intégriez tous dans vos petites têtes, parce que le Matthieu d'avant est mort. Alors que ça vous plaise ou non, je n'y peux rien et ça restera comme ça.

Elle ne sembla qu'à moitié surprise et secoua la tête en guise de désapprobation.

— De nous tous, c'est celle qui le mérite le moins, commença-t-elle.

— Vas-y, reviens encore une seule fois me dire ce que je dois faire avec Aly et je te jure que je vais me mêler de chacun des pans de ta vie. Juste pour te montrer à quel point c'est agréable.

Cette fois-ci, mes paroles l'ébranlèrent. Elle perdait le contrôle sur moi, et elle le sentait. Son éternelle autorité sur moi n'opérait plus et la force de notre amitié me semblait noyée sous celle de ma colère intérieure.

— Matthieu, elle est seule là-bas et tu ne lui as pas donné de nouvelles depuis qu'elle est partie, c'est inhumain et...

— Elle est en vie Julia, elle devrait s'en estimer heureuse. Si tu veux faire perdre du temps de travail à quelqu'un pour parler de ô combien je suis une horrible personne, va voir un psy, il sera payé à t'écouter. En attendant, j'ai du travail.

Sans lui laisser le temps de répondre, je tournai les talons pour quitter le garage par l'arrière, sortant mon paquet de cigarettes de ma poche pour m'en allumer une. Pourtant rapidement mon pied vint terminer sa course dans l'un des multiples pneus usagés qui traînaient à l'arrière. Une fois, deux fois, trois fois... Je finis par faire se retourner le pneu, de colère. 

Un con ? J'en étais un. Perdu ? Je l'étais certainement encore plus. Amoureux ? Ça y ressemblait tellement que j'en avais peur. Une peur qui se traduisait par un profond mutisme depuis la réception de son SMS, plus de trois semaines plus tôt. 

Souviens toi !Where stories live. Discover now