Samedi 8 Novembre - 2/3

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— Rappelle-moi ce que représente l'axe horizontal ?

— Les abscisses, répondit Elvire sûre d'elle. Et le vertical, les ordonnées. Le y des équations.

— Très bien ! Avec tout ce qu'on a revu, tu devrais pouvoir finir cet exo maintenant.

Nathan déposa le livre de Mathématiques ouvert au-dessus des feuilles et laissa son esprit vagabonder pendant que la petite réfléchissait sur la façon d'aborder le problème. Sa sœur était toujours assise dans le salon. Toujours avec son livre. À en juger par la vitesse à laquelle elle tournait les pages, soit elle avait de sérieux problèmes de dyslexie, soit elle attendait le premier faux pas du professeur pour se jeter sur lui et le lapider d'insultes. Le fait qu'il l'ait surpris jeter des regards en coin quand il faisait de même confirma sa deuxième impression. Elle n'était jamais intervenue, sauf une fois pour rappeler à sa sœur qu'il serait de bon ton de proposer une boisson à son hôte. Cette seule parole avait failli mettre le feu aux poudres entre les deux filles, la benjamine lui répondant systématiquement aux agressions verbales sur un mode équivalent. L'adolescent désamorça la situation en rassurant tout le monde en disant qu'il n'avait pas soif de toute façon.

La température agréable de la maison permettait à la punkette de ne porter qu'un mini-short bleu clair et un débardeur au moins trois fois trop grand. Elle changea de position sur son fauteuil, attirant aussitôt - et malgré lui - le regard curieux de Nathan. Il entraperçut alors un carré de peau sous le bras et la très discrète courbe d'un sein sans soutien-gorge. Elle tourna la tête vers lui, il tourna immédiatement la sienne vers le jardin. Il gardait cependant en vision périphérique ses jambes, longues, nues... fourrées dans les chaussons roses en peluche aussi ridicules que surprenants. Leur père s'affairait dans le jardin, autour d'arbres qu'il couvrait amoureusement de voile d'hivernage pour les protéger durant la saison froide. Il était resté en T-shirt malgré un mois de novembre frais.

Un détail attira soudain l'attention de Nathan. Il ne l'avait pas remarquée jusque-là, pourtant, il s'agissait de la seule fleur qui persistait au milieu d'un parterre vierge, le plus proche de la terrasse. Il n'était pas spécialement calé en botanique, c'était plutôt le hobby de Elké, mais il reconnut la corolle de cette espèce.

— Elle est apparue comme ça, commenta Elvire qui montrait les premiers signes du manque de concentration. Cet été, peu après qu'on ait emménagé ici. D'après papa, c'est une espèce de coquelicot. On la trouve jolie.

Nathan resta songeur quelques instants, avant de se souvenir où il était et ce qu'il faisait là.

— Montre-moi.

Il parcourut la feuille d'exercice, fit quelques rapides calculs de tête avant de la féliciter.

— C'est très bien. Tu vois, c'est pas si compliqué les Math.

L'adolescente rosit.

— C'est plus facile quand on a un bon prof...

Nathan rougit à son tour et baissa machinalement la tête. Et aperçut l'heure sur sa montre.

— 'Chié ! J'ai pas vu le temps passer ! Désolé.

— Oh, c'est pas grave tu sais.

— Pour toi non. Mais j'ai trois potes qui attendent depuis vingt minutes leur maître de jeu, dit-il en se levant.

— Leur quoi ?

— Je t'expliquerai. Bon, on se voit la semaine prochaine, même heure ?

Elle confirma en secouant la tête.

— En attendant, si t'as le moindre souci, hésites pas à me trouver au bahut. Encore une fois, désolé de partir si vite.

Il prit son sac sous le bras et partit à la hâte, sous le regard déconfit d'Elvire.

Nathan descendit l'allée au petit trot, tout en marmonnant le même gros mot en continu. En comptant le temps pour revenir chez lui, ses amis l'attendraient déjà depuis plus de quarante minutes quand il daignerait faire son apparition. Il devrait alors s'expliquer, ce qui ne manquerait pas d'énerver Cyrille qui prenait les séances de jeu de rôle très au sérieux, surtout les retards d'une seule personne qui impactaient tout le reste du groupe. Surtout qu'il devait mener ce soir l'épique épilogue de son aventure avant de passer la main et qu'il ne voulait pas la bâcler.

Alors qu'il se démenait avec le cadenas de son vélo amarré à un lampadaire, on l'interpella depuis le portillon qu'il avait pris soin de fermer :

— Hey !

En se retournant, il vit la plus grande des sœurs Céruse, sa veste en cuir jetée sur les épaules et une poignée de billets en main. Nathan couvrit la distance qui le séparait d'elle rapidement pour éviter de laisser ses jambes dénudées grelotter inutilement.

— Ah... Euh... Ouais, merci. J'avais oublié...

Il comptait trois billets de cinquante francs, un de plus que pour les deux heures trente qu'il avait données. Comme il ne souhaitait pas s'accaparer un salaire pour un travail qu'il n'avait pas pleinement accompli et qu'il ne comptait pas sortir son porte-monnaie pour faire l'appoint, il lui rendit un billet. Sans faire de commentaire, mais en la remerciant poliment. Elle le prit et le fourra dans une poche avant de croiser les bras pour mettre les mains sous les aisselles.

— Hum... On peut dire que t'es du genre patient avec la frangine.

Aux oreilles de Nathan, ça sonnait à moitié comme un remerciement, à moitié comme un compliment. L'un comme l'autre semblant incongru dans sa bouche.

— Je suis patient avec tout le monde...

Il força un sourire, espérant avoir l'occasion d'enterrer la hache de guerre.

— T'es pas normal, répondit-elle avec un soupçon de cynisme.

— Écoute, on est sûrement parti du mauvais coup de pied... (Il tendit sa main.) Je m'appelle Nathan.

Elle considéra la main tendue, mais plutôt que de la prendre, roula des yeux et fit demi-tour. Il avait bien suscité des sentiments chez la gente féminine, le plus commun étant probablement l'indifférence ; mais c'était la première fois qu'il exaspérait quelqu'un de par sa simple présence. Il l'observa remonter les dalles qui serpentaient jusqu'à la porte d'entrée restée ouverte. Elle poussa sa sœur qui était venue se poster dans l'encadrement pour observer la scène et disparut. Pour la benjamine, il esquissa un dernier sourire et un signe d'adieu.

Quand la porte se ferma, une chanson lui vint en tête : Bitch de Meredith Brooks. Voilà qui caractérisait au mieux cette punkette.

Teenage RiotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant