Chapitre 56

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Meurtrière !

Mon regard horrifié va et vient sur le corps crucifié, martyrisé de Nergal... il est peut-être encore vivant, mais aucune plainte ne s'échappe de lui.

En quelques minutes, la garce puante a forgé plusieurs dizaines de croix où expirent les rebelles.

Une forêt de croix.

Cimetière immonde et sauvage qui retient à jamais les créatures massacrées, torturées, calcinées.

J'essaye de contrôler le mélange de peur et de dégoût qui pourrait étouffer les étincelles fières, courageuses... nourries par une rage tour à tour brûlante ou glacée qui devient très vite implacable.

JE DOIS ATTAQUER !

Profiter des relents de joie cruelle savourés par cette monstruosité... quand elle ne s'attend pas à la moindre résistance... quand elle me sait à genoux.

J'entends le chant âpre de la souffrance et de la haine résonner autour de moi... il est à peine audible, il cherche un réceptacle bienveillant. Si je l'accueille, il n'y aura pas de retour en arrière possible.

Qui d'autre que le mal peut combattre le mal ?

Qui d'autre que la mort peut combattre la mort ?

Hariel Skyline et sa nature angélique ont compris le danger.

— Il faut repartir derrière les portes de pierre, hurle-t-il en attrapant son roi plus vite que son ombre.

Le petit bonhomme ne se fait pas prier.

Ils ont raison... bien que leur misérable existence m'importe peu désormais.

Une dernière fois, mes yeux accrochent ce qui fut Nergal, puis de longues lianes obscures s'élèvent des croix, rampent depuis les cadavres éparpillés, morcelés sur le sol gelé comme du verre irrémédiablement brisé.

Sorcière infâme et crasseuse !

Sais-tu que les trépassés n'oublient jamais ?

Sais-tu que le désir de vengeance les hante pour l'éternité ?

Les lianes noires pénètrent douloureusement à l'intérieur de moi. Je ne dois pas leur résister même si c'est atroce, même si c'est répugnant.

Nous ne ferons plus qu'un.

Absorbée à contempler l'agonie de Nergal, Ereshkigal s'est brusquement tournée vers moi... ses yeux ne sont plus qu'un gouffre.

Les miens aussi.

— Pauvre imbécile, ricane-t-elle. Toute la noirceur réunie dans cette grotte n'est rien comparée à celle d'une déesse telle que moi. Tu vas perdre ton humanité pour rien... et mes cerbères ne feront qu'une bouchée de ton bâtard.

JE VEUX JUSTE QU'ELLE CRÈVE !

J'ai mal partout... genre une méga indigestion au niveau cosmique, sidéral, interplanétaire. C'est fou comme l'univers est chargé de mort et d'anéantissement. À croire que toute cette merdouille n'attendait plus que moi... Evangeline Wyllt.

Enragée, Ereshkigal ne prévient pas quand elle lance toutes ses forces contre moi.

Je suis frappée de plein fouet.

Les lianes noires ont réagi... formant un cocon étouffant pour me protéger. Je ne peux plus respirer tant ma poitrine est comprimée, un voile sombre s'étend sur mes yeux.

Peut-être faut-il mourir pour vaincre la reine obscure ?

Je ressens durement ses attaques. Et plus elles sont puissantes, plus le cocon resserre ses griffes sur mon corps.

Soudain... il me libère.

Les lianes ont disparu.

Il n'y a plus que moi.

Moi et le danger ! Les soldats d'Ereshkigal me foncent dessus, ils sont armés jusqu'aux dents.

Pourquoi la reine est-elle en retrait ?

Quelque chose a jailli de mes yeux...

Une lame de fond engloutit en quelques secondes mes ennemis, ils sont tous noyés dans un fleuve à la noirceur tumultueuse et mortelle.

J'ai compris pourquoi les lianes se sont évanouies, elles sont à l'intérieur de moi. Je ne ressens plus la froideur du sol... je ne vois plus la forêt de croix. Pourtant elles continuent de brûler impitoyablement, et sans doute que Nergal n'est plus.

Une secousse me broie le cœur... avant de s'évader en poussière.

Je me concentre sur une forme accroupie au sol qui vient de se relever. Ses cheveux sont en bataille, ses yeux étincellent comme de noirs saphirs, son visage est creusé par l'effort.

Elle m'envoie un sort violent.

Du moins... elle a essayé.

D'instinct, la mort a surgi hors de moi pour frapper mon adversaire.

La reine obscure se tord dans tous les sens avec des hurlements rauques et désespérés. Puis elle demeure immobile, comme piégée pour l'éternité.

Alors le fleuve sombre s'écoule de ma bouche en jets rapides... je vomis la haine, la souffrance, la peur. Tout près, les restes d'Ereshkigal ne sont plus qu'une statue de marbre noir veiné d'or, ses yeux écarquillés par l'effroi ont perdu tout éclat.

Mon regard à moi est happé par une silhouette décharnée, crucifiée sur une croix de feu.

Nergal ? 

Je m'effondre devant sa dépouille.

Terrassée par le chagrin.

***

L'Élue (Evangeline)Where stories live. Discover now