Chapitre 18

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La chaleur est torride autour du Tish Children's Zoo. Les statues des animaux musiciens, écroulées sur le sol, semblent suer tout autant que Ahn et moi.

Il n'y a pas de vent. Et quand il y en a, il est brûlant. Pourtant j'entends une sorte de bruissement, comme si une brise légère, discrète parcourait les lieux.

Une brise inexistante en réalité...

La magie est un chant, tous ceux qui la pratiquent sont capables de le percevoir. 

Les étranges paroles de Nergal...

— Bon sang de bonsoir !

La fameuse réplique de ma meilleure amie a interrompu le flot de mes pensées. Et il y a de quoi...

Notre modeste jardin a désormais tout de cet Éden évoqué dans les livres qui prônaient les anciennes religions, aujourd'hui interdites. Il est voluptueux, foisonnant, parfumé au point de choper un sacré mal de tête. Nous avons seulement planté quelques graines, et voilà que nombre d'arbres fruitiers élancent leurs silhouettes graciles à l'assaut des cieux. Bien entendu, ils sont chargés de fruits murs, juteux à point.

C'est un enchantement !

— Bon sang de bonsoir, répète Ahn. C'est toi qui es à l'origine de tout ça...

Je réplique en riant :

— Tu pourrais pas dire « saperlipopette » pour une fois.

Elle se marre aussi.

— C'est beaucoup moins classe ! Au fait, t'as pas des trucs à me raconter...

Depuis l'enfance, on est si proche qu'elle devine immédiatement quelque chose d'anormal chez moi.

Et ce n'est pas ce qui manque depuis un certain temps !

— Forcément, le beau Nergal est dans le coup, ricane-t-elle gentiment.

Malgré les températures extrêmes, ses yeux brillent de curiosité.

— Un autre baiser passionné, sexy à mort ?

J'affiche un sourire à la fois fier et ironique.

— Pas vraiment ! J'ai failli le tuer...

— Merde ! Ce grand mec super costaud.

J'ai une envie folle de lui déballer tous les détails de mon entrevue avec Nergal. Je me sentais dans ce même état extatique au cours de mon enfance, quand je parvenais à tromper la vigilance de mon père pour filer chez Ahn à grands coups de pédalier électrique. Je piquais le vélo de mon paternel évidemment...

— Alors voilà... Nergal a avoué qu'il venait d'une autre planète ! Et c'est là que j'ai eu la trouille.

— De lui ?

— Je sais pas trop ? Les dirigeants nous bassinent tellement avec le fait que nous  constituons sûrement la seule race intelligente de l'univers, que les quelques formes de vies existantes ailleurs seraient uniquement des bactéries, très dangereuses pour nous en plus.

— C'est de la saloperie de propagande, maugrée Ahn. Donc, t'as eu la frousse...

— Exactement ! Nergal a fait deux pas vers moi... et là, c'était comme si je lui intimais en silence l'ordre de stopper.

— Waouh, susurre-t-elle en sautillant. Arrête-toi, Nergal ! Tu m'excites trop...

Elle a toujours le mot pour rire.

— T'es vraiment une obsédée du sexe ! Il pouvait plus bouger... en gros, j'ai utilisé...

— La magie, murmure-t-elle, brusquement sérieuse, respectueuse.

Tandis que nous parlions, mes sens se sont mis en alerte. Ahn et moi nous regardons, elle aussi est inquiète. Des bruits de respiration, de pas feutrés, tout autour de nous et parfaitement réels...

— On se casse !

J'ai intimé l'ordre trop tard...

Depuis combien de temps étaient-ils dissimulés sous une chaleur de plomb, tapis dans des broussailles si sèches qu'elles ont craquées lourdement dès qu'ils en sont sortis ? Des capuchons sombres recouvrent leur tête, ils ressemblent à ceux qui vénéraient autrefois les anciennes religions.

Ce sont les prédicateurs, ceux que ma mère a suivis pour trouver sa fin au bout du chemin. Je hais ces gens, à cause de toute la souffrance endurée par leur faute. J'exècre leur idéologie débile et mortifère, ces âneries ont tout simplement tué ma mère. Écarquillées, les jolies prunelles noires de Ahn fixent une direction. Je tourne la tête vers l'objet de son attention...

Il est plus grand que je le pensais. Il se déplace torse nu, de l'eau argentée parait couler sur sa peau. À l'instant où deux larges ailes immaculées se déploient dans son dos, les prédicateurs tombent à genoux. Les capuchons sont abaissés, les mains se joignent, les visages expriment une intense ferveur.

— Le ciel soit loué ! s'exclament-ils en cœur.

Hariel Skyline leur offre un sourire... divin.

— Bon sang de bonsoir, souffle Ahn.

À voix basse également, je conviens bien volontiers :

— Pas faux ! Vraiment pas...


Nicole, elle chante comme un ange.

Il faut JAMAIS se laisser séduire par son prof de musique !

C'est pas du jeu... il joue forcément mieux que vous.


L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant