Chapitre 42

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Le départ d'Hariel nous a tous plongés dans le désarroi, Ahn la première.

— Tu y crois toi... qu'il est allé demander la protection de la reine Inae pour toi et ton enfant, maugrée-t-elle en permanence.

— C'est la raison invoquée... et ça signifie qu'il doute que la lumière en moi soit suffisamment forte pour vaincre Ereshkigal et Nergal, dis-je dépitée.

— Mais tu manques d'entraînement, voilà tout, proteste-t-elle.

Je hoche négativement la tête.

— Ce n'est pas l'avis d'Hariel, selon lui ma magie est très puissante et n'a pas besoin de plus de pratique...

— Je te parle de la lumière... pas de l'obscurité, ronchonne Ahn.

Quelque part, ça me gave qu'elle s'obstine à espérer en moi.

— Tu penses que ça m'amuse de tous vous quitter pour me réfugier au fin fond de l'espace ! Quand je viens de retrouver mon petit frère, que les choses vont mieux avec mon père. Il faut pourtant se rendre à l'évidence, ma magie est d'origine obscure voilà tout. Myrddin Wyllt a réussi à trouver la lumière... il était exceptionnel et moi je ne le suis pas...

— Mais tu as sauvé ta famille grâce à la lumière, insiste-t-elle.

— Et durant les parties de chasse à la goliath dans les souterrains des tours, je pulvérise ces sales bestioles en quelques secondes grâce à mon pouvoir obscur. J'ai utilisé la lumière une seule fois pour préserver la vie d'Elvis et de mon père... et c'était sûrement un accident...

Vaguement agacée, je laisse échapper un soupir. Au fond, je ne suis pas si mécontente de faire une pause sur Alpha Centauri pour mettre mon fils à l'abri.

La dernière échographie n'a fait que confirmer les prévisions d'Hariel... je vais très bientôt accoucher d'un garçon. Il semblerait que le général en chef des légions de la reine noire contrôlait aussi cet aspect de mon corps.

Entre la haine et l'amour, il n'y a que l'épaisseur d'un cheveu.

Plus je sens mon fils grandir en moi et plus je chasse impitoyablement les moindres souvenirs de Nergal. C'est comme si je passais en permanence un coup de balai au plus profond de mon cœur pour réduire à l'oubli celui qui m'a séduite et abandonnée.

Quitter la Terre et traverser l'univers me permettra peut-être de pulvériser Nergal en pensées.

Mais il faudra bien l'affronter un jour... l'éliminer ?

Existe-t-il une recette miracle pour en finir avec le géniteur de son enfant ?

Je me demande si Adhan, la mère de Myrddin Wyllt, s'est mise à haïr celui qui l'avait engrossée puis laissée tomber.

Une vieille habitude des êtres obscurs...

Bien qu'il n'ait jamais connu son père, Myrddin a su créer un lien unique avec le monde qui l'a vu naître. À cette époque, la Terre était resplendissante... vivante.

Moi j'ai approché la souffrance et la douleur d'une planète à l'agonie.

J'ai fait tomber la pluie, mais mon corps l'a payé très cher. J'ai eu de la fièvre pendant plusieurs jours et ma peau était couverte de fines zébrures, comme si un fauve invisible m'avait griffée.

Avant de partir, Hariel m'a confirmé ce que je soupçonnais déjà.

Je ne détiens pas le pouvoir de redonner vie à la planète... je peux juste colmater quelques brèches... et encore.

Hariel m'a soignée grâce à sa magie, mais compte tenu que je porte un enfant, il est évident que je ne dois plus prendre aucun risque. La pluie est tombée pendant plusieurs semaines, de quoi remplir d'immenses citernes et offrir un répit à tous.

J'ai bien mérité ce voyage interstellaire.

— Finalement... t'es plutôt contente de te tirer, murmure tristement Ahn.

— Mets-toi un peu à ma place... je voudrais accoucher tranquillement, trouver un nom pour mon bébé sans songer à nourrir les gens... à combattre les goliaths ou alors Nergal et sa pourriture de reine obscure qui rêve de voler mon gosse...

Elle se jette dans mes bras, des larmes dans ses prunelles.

— Tu devrais l'appeler, Samson, chuchote-t-elle en reniflant.

— Euh... c'est bizarre comme nom...

Elle s'est serrée très fort contre moi, se mouche bruyamment et explique :

— J'ai lu ce nom dans des livres anciens... le gars possédait une force extraordinaire, un vrai colosse.

Elle est adorable, avec son nez et ses yeux tout rouges à cause de moi. Je songe qu'on n'a jamais été séparées... nous traînons ensemble depuis toujours.

— Liam nous attend aux manèges, se souvient-elle. Depuis qu'ils ont été remis en route, les gamins d'en bas sont attirés comme des mouches... et en plus c'est gratuit. Un cadeau de bienvenue de ceux d'en haut, à ce qu'il paraît...

— Je sais... je dois y retrouver papa et Elvis...

En compagnie d'Ahn, j'emprunte les ascenseurs de verre et d'acier dont j'ai désormais l'habitude. Les manèges sont installés dans la plus haute des tours, celle où se trouve un grand centre commercial. Nous montons au dernier étage pour accéder aux passerelles, le seul moyen de passer d'une tour à une autre aujourd'hui, puisque les souterrains ont été condamnés à cause des quelques goliaths qui s'y baladent encore.

Une petite brise rafraîchissante souffle sur les passerelles, signe que ma magie continue à colmater les brèches... même si ce n'est que pour un temps.

Le centre commercial est plein de monde... c'est étrange comme les gens ont la capacité d'oublier la misère pour se remettre aussitôt à revivre.

Des fontaines intérieures coulent en jets gracieux et l'eau renvoie une multitude de reflets argentés sous la puissance des lumières. On dirait bien que ceux d'en haut ne sont pas près de renoncer à leur amour du gaspillage.

OK ! La flotte doit être recyclée, mais quand même.

Je repère Elvis, main dans la main avec papa... ils font la queue devant un extraordinaire carrousel, une reproduction d'une antiquité sans doute. J'aperçois une foule de détails colorés, somptueux, étranges...

C'est comme au Tish Children's Zoo... quelque chose d'incompréhensible qui surgit d'un passé que l'humanité a perdu pour toujours et dont je suis la seule à entendre les échos.

Le monde est en train de pleurer.

J'imagine les yeux brillants d'Elvis, le sourire de mon père parce que son fils est heureux, le regard égaré de Liam parce qu'il ne sait plus trop qui il est... et les larmes de ma meilleure amie.

Quelle dose d'égoïsme... de courage me faudra-t-il pour les quitter ?

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L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant