Chapitre 51

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Nergal Del Rio...

Je me souviens de la grande guerre entre Ereshkigal et Jaï, son jeune frère. À cette époque, j'étais encore un magicien novice, sans réelle expérience au combat. Mais nous savions tous que l'affrontement de deux progénitures divines serait terrible, et nous étions préparés à l'anéantissement.

Parvenu au terme d'une existence qui remontait à la nuit des temps, le créateur de toutes choses en ce monde avait pu générer deux « enfants », chacun d'entre eux formant les opposés originels : l'ombre et la lumière.

Notre planète se divisa alors en deux parties... l'une exposée à l'éclat de notre soleil, et l'autre constamment plongée dans l'obscurité.

Ainsi, la lumière ne se confronterait jamais avec l'ombre.

Un dieu ne meurt pas, il ne fait que se disperser jusqu'aux confins de l'univers. Hélas, le créateur n'eut pas droit à cette fin aussi digne qu'épique, car la juvénile reine obscure était affamée. Les restes d'un dieu vieillissant, fût-il son propre père, constituaient un fabuleux nectar dont Ereshkigal ne s'était pas privée.

C'est ainsi que la grande guerre commença, pas seulement sur notre planète, mais sur tous les mondes que notre souveraine souhaitait dévorer.

Si son père avait utilisé son flux d'énergie pour créer partout la vie, Ereshkigal au contraire avalait goulûment tout ce qui se présentait, ne laissant rien subsister après son passage.

Et son appétit s'avérait immense.

Après avoir éliminé son père sans difficulté, Ereshkigal réservait un sort identique à son frère. À la tête de la lumière, Jaï lutta avec acharnement contre sa sœur, poursuivant l'œuvre de son père en semant la vie là où Ereshkigal l'annihilait.

Un temps, la reine obscure s'intéressa à la Terre... et elle devint un champ de bataille auquel les humains ne comprirent pas grand-chose. Par ailleurs, cette race en majorité stupide était incroyablement douée pour s'autodétruire.

Lorsque j'ai posé les pieds sur le sol décharné de cette planète, l'attirance autrefois ressentie pour Ereshkigal s'était déjà changée en une haine tenace. Sur Alpha Centauri, j'avais dû lancer à nouveau mes légions dans un combat perdu d'avance, pour satisfaire l'appétit incontrôlable d'une garce égoïste qui n'avait de reine que le nom.

La mort de mon cher Caym n'était que la goutte qui faisait déborder un vase rempli à ras bord.

Cependant, la mission que l'on me confiait n'était pas sans intérêt.

Les humains ont gardé en mémoire une suite d'individus sans importance, sinon celle d'avoir plus ou moins précipité la fin de leur espèce, même si certains étaient animés des meilleures intentions alors que d'autres envisageaient les pires.

Cette race d'imbéciles a quasiment oublié Myrddin Wyllt.

Et pourtant...

Le fils d'une simple villageoise et d'un démon de haut rang surpassait de loin tous ceux placés au panthéon de l'humanité. Myrddin fut célèbre au point qu'il approcha le créateur lui-même, devenant l'un de ses précieux conseillers. Et lors de la dernière et terrible bataille, il avait naturellement choisi de se ranger au côté de Jaï, le fils du créateur.

Né d'un être obscur, Myrddin avait appris à maîtriser la magie de la lumière, persuadé qu'il vaincrait Ereshkigal en lui opposant un pouvoir contraire au sien.

Mais ce fut exactement l'inverse qui se produisit.

La reine obscure avait absorbé tant de mondes que sa puissance devenue phénoménale réduisit l'essentiel des forces de la lumière en poussière. Et selon la légende, elle aurait emprisonné son malheureux frère derrière les portes de pierres...

Sauf que la vérité est tout autre.

Craignant pour la vie de Jaï, Myrddin lança un sort désespéré qui fit apparaître les portes. Elles s'ouvrirent dans un terrible fracas et le jeune roi fut aspiré derrière ce bouclier magique, échappant ainsi à une mort certaine.

Myrddin scella aussitôt les portes puis affronta seul la reine obscure... un combat inégal au cours duquel le magicien fut anéanti.

Evangeline est la clé de tout, elle seule peut dénouer le sort de son ancêtre.

Ma mission m'a donné l'occasion de l'approcher, tout en la protégeant de mon mieux. Je savais que tôt ou tard la reine obscure m'ordonnerait de lui tordre le cou, craignant que les pouvoirs de la lignée Wyllt se soient concentrés dans cette jeune fille d'apparence si fragile.

À la longue, l'insatiable appétit d'Ereshkigal avait produit un effet particulièrement pervers... au lieu d'engranger de la puissance au fil du temps, la reine en perdait de plus en plus.

Les âmes de ses nombreuses victimes réclamaient sans doute vengeance.

Pour épargner la vie d'Evangeline, j'ai offert un héritier à Ereshkigal, un petit enfant que sa nature de déesse couplée à son état de faiblesse lui interdisait de mettre elle-même au monde.

Il restait à séduire la jeune élue.

Un jeu charnel, excitant et dangereux, car Ereshkigal se montrerait impitoyable si elle comprenait que j'œuvrais lentement à sa perte.

Evangeline !

Au début, je la trouvais irritante, amusante, mystérieuse... et plutôt jolie. Même si je ne considérais pas les humains, hommes ou femmes, comme des partenaires excessivement attachants.

Très vite, Evangeline est devenue un défi qu'il me fallait remporter. Et plus je cherchais à la protéger, plus elle occupait mes pensées de manière insistante.

Puis je suis arrivé à mes fins.

Evangeline portait mon fils en elle...

C'est à ce moment-là que j'ai été forcé de l'abandonner pour sa propre sécurité, et c'est aussi à ce moment-là que j'ai compris son importance à mes yeux.

Mais une nouvelle mission m'attendait.

Je devais impérativement endormir la méfiance de la reine obscure pour mieux la détruire.

***

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant