Chapitre 41

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Tout en haut des tours...

Les images de la fabuleuse soirée avec Nergal me hantent aussitôt que je franchis en compagnie d'Hariel les portes d'un ascenseur de verre et d'acier. Mais cette fois-ci, aucune senteur paradisiaque ne vient me chatouiller les narines.

Les terrasses extérieures sont désormais remplies d'une profusion de végétaux desséchés, morts pour la plupart. Sur les passerelles qui relient les tours entre elles et mènent aux différentes serres, un air brûlant nous balaye de part en part, nous signifie que les hauteurs ne représentent plus un refuge pour personne.

— Il y a quelques années, les générateurs d'eau atmosphérique fonctionnaient à plein régime durant la nuit, m'indique tristement un type barbu.

C'est un des ingénieurs affectés aux serres.

— On a arpenté toute la planète pour exploiter les derniers points d'eau, continue-t-il, on remplissait les camions-citernes pour approvisionner les tours. Quand les nappes souterraines ont toutes été à sec, on a eu l'idée des générateurs d'eau...

Je le coupe nerveusement...

— Pendant que ceux d'en bas étaient scrupuleusement rationnés. Je suppose que vous et vos semblables veilliez également à la bonne température du bain du gouverneur. Dommage qu'il ait choisi de vous laisser en carafe...

— J'aurais pu partir pour les colonies... seulement moi... et pas mon compagnon, murmure-t-il, le gouverneur ne l'estimait pas utile...

— Mais en réalité, c'était de la discrimination... ajoute un grand rouquin qui s'est joint à la conversation.

— Les autorités ne souhaitaient pas embarquer de couples gays, soupire le barbu.

Le rouquin couve son amoureux d'un regard à la fois langoureux et désespéré... et c'est là que je me rappelle de lui. Je reconnais le serveur du restaurant, celui aux superbes prunelles vertes qui semblait trouver Nergal à son goût.

De nouveau... le passé ressurgit...

Le cœur lourd, je me souviens de ma surprise quand Nergal m'avait confié sa bisexualité, aussi de cette étincelle dans ses yeux si clairs quand ils s'étaient posés sur ma nudité.

Pourquoi est-ce que je continue à me torturer ?

Peut-être parce que je ne parviens pas à l'oublier ?

Peut-être parce que j'ai une trouille bleue qu'il rapplique avec sa saleté de reine ?

Celle qui veut voler l'enfant que je porte... mon enfant...

En attendant, des gens sont entassés en bas des tours quasiment sans eau et sans nourriture et je dois faire tout mon possible pour qu'ils puissent profiter d'un abri dès ce soir, pour qu'ils soient réconfortés.

Hariel demande au couple de s'éloigner... ils ne sauraient voir ma magie de près sans être interloqués, voire effrayés. Même s'ils sont conscients que c'est aujourd'hui le seul moyen pour eux de survivre, eux et tous les autres, biberonnés depuis l'enfance aux mille et une merveilles de la technologie.

— Myrddin Wyllt possédait un lien étroit avec ce monde, explique Hariel, il était né au cœur de la forêt. Une fois adulte, il était capable de commander aux éléments... le rituel du sang concrétise ce lien et c'est aussi une clé...

— Une clé ?

Hariel a détourné la tête sans répondre. Me cacherait-il quelque chose comme le prétendait Nergal ?

Privées d'eau, les serres ont pris l'allure d'un cimetière végétal dépourvu de toute vie et voué à l'oubli sur une planète moribonde. D'une voix que je voudrais ferme, mais dont les intonations se brisent malgré moi, je prononce ces quelques mots surgis du passé :

« À toi qui as donné aux hommes tant de bienfaits, à toi qui gis sous la caresse de mes pas, accepte mon offrande, accepte le flot de mon sang, accepte le lien ! »

Étrangement, je n'entends pas le chant... une terrible inquiétude me submerge, assèche un peu plus ma gorge déjà en feu. Je regarde mon sang qui glisse lentement le long de mes poignets et goutte sur les plants décharnés sans le moindre résultat. Très vite, mes larmes se mêlent au sang comme pour creuser en profondeur la terre, comme pour l'appeler...

C'est peut-être trop tard !

Soudain, une sensation glacée me parcourt l'échine de bas en haut. C'est douloureux alors je me raidis d'instinct, éprouvée par une torture autant brutale que féroce.

Je viens de comprendre que c'est le chant !

Je ne vois plus rien des serres autour de moi... je ne vois que des lacs, des mers, des océans de sang aux reflets carmin.

Le chant est muet, mais il m'a transpercée...

Mon lien est si fort avec ce monde que je suis traversée, dévorée par son agonie. C'est comme si toute mon énergie était aspirée...

Mon corps s'est mis à trembler et je finis par m'effondrer au sol... en pleurs.

— Ça n'a pas marché, la planète a trop souffert...

Sans rien dire, Hariel m'aide doucement à me relever et m'entraîne hors des serres. D'une démarche vacillante, je l'accompagne au bord des immenses terrasses. En bas, les parvis devant les tours sont illuminés et la plupart des gens tendent les bras vers le ciel, certains tombent à genoux.

— Écoute, chuchote Hariel, il arrive...

C'est la nuit et j'observe le ciel. Quand des éclairs zigzaguent au milieu des étoiles, je reste bouche bée... une longue acclamation monte alors depuis la foule. Un vent rafraîchissant s'est levé et joue avec mes cheveux blonds puis le tonnerre a rugi...

Bienfaisante, la pluie éclabousse joyeusement ma figure et mes poignets encore en sang.

— Tu as réussi, constate Hariel à voix basse.

Mais il prend l'air sérieux, préoccupé...

— Je dois me rendre sur Alpha Centauri, confie-t-il, pour m'entretenir avec la reine Inae... c'est à propos de toi...

Je le scrute un instant, sans comprendre.

Qu'est-ce qu'il peut bien lui passer par la tête ?

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L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant