Chapitre 29

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— Ton père m'a appris que tu te trouvais chez ta meilleure amie, explique Hariel d'une voix posée, il semblait déboussolé, effrayé. Il répétait que le psychiatre avait pourtant rendu un rapport définitif où il faisait ton éloge... que tu étais désormais dispensée de suivi.

Je laisse échapper un petit rire d'amertume.

— Quelle charmante attention de la part de Nergal, mais nous savons qu'il n'est pas plus psychiatre que moi ou Ahn.

— Je ne l'ignore pas, rétorque Hariel, mais tu ne peux pas continuer à terroriser ton amie ou ta famille en utilisant le côté le plus obscur du chant.

— C'est donc ça ! Vous m'accusez encore d'avoir été... comment dites-vous ? Contaminée par Nergal !

— À l'origine, ta magie possède une grande part d'obscurité, soupire Hariel, mais ton humanité la rend sensible à la lumière, tout comme Myrddin Wyllt. Par contre, le fait de t'attacher à Nergal peut compromettre cette possibilité.

— Vous n'avez plus rien à craindre, dis-je sèchement. Nergal est parti, il a filé très loin de moi.

— Le général Del Rio, chef suprême des armées du peuple de l'ombre semble en effet avoir achevé sa mission, confirme Hariel calmement.

Je l'observe, les yeux écarquillés par l'incompréhension.

— Mais de quoi est-ce que vous parlez ?

— J'ai fini par réaliser pourquoi le général était venu sur cette planète et quels étaient les ordres donnés par Ereshkigal, sa reine.

Ahn est dans le même état que moi ou presque.

— Ereshki... quoi ? marmonne-t-elle.

Hariel n'est pas d'humeur à trouver ça drôle.

— La nature particulière d'Ereshkigal fait qu'elle ne peut espérer enfanter elle-même. Il est évident qu'elle a chargé le général d'accomplir la mission, compte tenu qu'il a été son amant un certain temps et qu'elle souhaitait l'épouser.

Le peu qui restait de mon cœur brisé achève de se changer en poussière. Je me revois nichée comme un oisillon tremblotant entre les bras de Nergal, j'avais la sensation enivrante d'être devenue une véritable femme.

Mais lui... à quoi songeait-il exactement ?

À la réussite de cette fameuse mission ?

Comment ai-je pu me laisser manipuler à ce point ?

Comment ai-je pu m'offrir sur un plateau à ce salopard ailé ?

Les larmes commencent à brouiller mon regard. Ahn s'empresse de m'entourer fermement les épaules, comme si ce geste détenait le pouvoir secret d'effacer le mal que Nergal a semé derrière lui.

Hélas, Hariel n'a pas terminé.

— Le peuple de l'ombre est parfaitement compatible avec les humains, la lignée des Wyllt en demeure la preuve. Et il y a peu de différences en ce qui concerne la conception d'un enfant...

Ahn a resserré instinctivement son étreinte. Je peux sentir le rythme infernal du sang qui parcourt ses artères à toute vitesse, il est à peu près égal au mien. C'est comme si une araignée Goliath me courait après et que j'étais à bout de souffle.

— La conception d'un enfant, répète Ahn à voix basse.

— Le général a activé le chant d'une façon extrêmement puissante, c'est comme ça que j'ai su quel était son but. Evangeline donnera la vie à un être hybride dans quelques mois... il sera l'héritier du peuple de l'ombre, l'héritier d'Ereshkigal.

— Vous vous voulez dire que cette espèce de folle prend Evangeline pour une mère porteuse, explose Ahn. Et d'abord... pourquoi elle ne peut pas avoir un « héritier » elle-même ?

— Parce que c'est une déesse... elle ne peut engendrer qu'avec un dieu, avoue Hariel, elle et son frère sont les deux derniers. Ils se haïssent, aussi leur père avait établi une frontière pour séparer les royaumes qu'il leur avait légués. Ereshkigal et son frère devaient régner en paix chacun de leur côté. Mais Ereshkigal s'est d'abord débarrassée de son père, puis elle s'est attaquée à son frère, le jeune roi de la lumière.

— La fameuse légende des deux royaumes, souffle Ahn.

— Ce n'est pas une légende, répond tristement Hariel. Nos armées ont été balayées et nous ne sommes plus qu'une poignée d'êtres de lumière. Il y a bien longtemps, ma planète possédait deux hémisphères, l'un restait dans l'obscurité et l'autre recevait la lumière, c'était la volonté du père d'Ereshkigal.

Je me sépare doucement de Ahn, loin de son aura affectueuse et protectrice.

— Nergal m'a montré à quoi ressemblait son monde, il n'était pas entièrement plongé dans la nuit... plutôt dans la pénombre.

Hariel acquiesce d'un hochement de tête.

— La lumière n'a pas été totalement vaincue parce que mon roi vit encore, Ereshkigal n'a pas réussi à l'éliminer de façon définitive. Ce n'est pas faute d'avoir essayé...

— Que lui a-t-elle donc fait subir ? interroge timidement Ahn.

Le beau visage d'Hariel exprime alors un immense accablement.

— Elle le retient prisonnier dans les ténèbres depuis de nombreux siècles... et il s'affaiblit de plus en plus.

***

La voix humaine est aussi un instrument magnifique. (J'adore sa robe également...)

Il était une fois dans le futur, une jeune fille tombée éperdument amoureuse d'un démon aux yeux clairs qui obéissait à une cruelle déesse.

Merveilleux et regretté Ennio Morricone... 

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant