Chapitre 35

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Des coups répétés résonnent au petit matin contre la porte du garage de Ahn.

— Ça fait plus d'une heure que Liam fait du raffut. Heureusement que ma mère prend des trucs pour dormir et que mon père est aux incinérateurs avec le tien. Au fait... Rodney veut te parler...

Il ne manquait plus que ça.

— Il vaudrait mieux libérer le fils du gouverneur, suggère Hariel.

Il ne s'est pas éclipsé en douce comme à son habitude, au grand bonheur de Ahn qui le couve amoureusement des yeux.

— On voit bien que ce n'est pas toi qui te fais harceler en permanence, dis-je rageusement.

— Ce garçon n'est pas responsable de la situation... tu le sais, Evangeline, rappelle simplement Hariel.

— Alors, explique-moi comment je peux annuler le sort que je lui ai jeté... et qu'il me fiche enfin la paix.

— Tu ne peux pas, répond-il d'un ton grave. C'est un humain, les effets du chant sont irrémédiables sur lui.

Hélas, je m'en doutais un peu, même si je refusais de voir la réalité en face.

— Mais ce serait préférable que tu l'informes de ce qu'il subit, achève Hariel avec conviction.

— Ce serait sympa pour ce pauvre gars, renchérit Ahn en baissant les yeux.

Je les observe tous les deux, Ahn et Hariel. J'imagine leur tête si j'avouais avoir entendu la voix de Nergal...

Comment est-ce que c'est possible ?

Mais ce n'était peut-être qu'une illusion ?

Les tristes délires d'une fille abandonnée qui n'a rien trouvé de mieux qu'ensorceler le fils du gouverneur pour combler sa solitude.

Ahn m'interroge du regard avant de faire coulisser la porte du garage. Liam en surgit les cheveux en pétard, les yeux hagards.

— Evangeline, tu vas bien ? J'ai quelque chose de très important à te...

Je le coupe vivement :

— Je dois t'avouer la vérité, Liam... à propos de ton comportement bizarre avec moi.

Il est immédiatement sur la défensive et réagit comme un amoureux transi.

— Je ne suis pas bizarre, Evangeline. C'est juste que je tiens beaucoup à toi, à ton enfant. Tu dois absolument savoir que...

Exaspérée, je l'interromps de nouveau :

— Je suis désolée, Liam. Tout ça c'est de la magie... tout ce que tu ressens pour moi... il n'y a rien de réel.

Il me contemple tristement, semble faire un immense effort pour se concentrer.

— Alors tu serais un genre de sorcière, murmure-t-il comme pour lui-même.

— C'est ça, Liam. Tu peux rentrer chez toi, maintenant... tu seras bien mieux dans les tours, avec ton père et ton cousin.

Il reste silencieux un instant, puis s'agite à nouveau.

— Les tours ! Ils vont partir... les ressources sont au niveau le plus bas... mon père a ordonné l'évacuation, clame-t-il d'une traite.

— Comment ça au niveau le plus bas ? demande Ahn affolée.

— Ça devait arriver tôt ou tard, confesse Liam. Il n'y a jamais eu de grosses restrictions pour ceux d'en haut en ce qui concernait l'eau et la nourriture. Mon père estimait que les économies réalisées sur la population d'en bas compensaient une consommation importante dans les tours.

— Écœurant, lâche Ahn d'un air dégoûté.

C'est à cet instant qu'un bruit assourdissant nous transperce les tympans. Dans le ciel, plusieurs navettes ont quitté les plateformes situées tout en haut des tours. Elles sont des centaines et forment un grand ballet aérien pendant plusieurs minutes. Les yeux rivés vers les nuages, nous observons le spectacle jusqu'à la disparition des derniers engins dans l'immensité bleutée.

— C'est pas vrai, rugit Ahn. Ces salopards se sont tous tirés... les tours sont vides à présent.

— Il faut aller voir, propose Hariel.

Liam a fixé le ciel lui aussi, un sourire mélancolique au bord des lèvres. Il nous emboite le pas sans broncher et offre même d'utiliser son véhicule volant pour nous transporter Ahn et moi.

Hariel lui a disparu en quelques battements d'ailes...

Le cœur serré, je me repasse ce film où la puissance des ailes de Nergal m'a emportée dans un paysage incroyable et magnifique. La glace à perte de vue, la rivière qui serpentait au hasard pour se frayer un chemin au milieu des blocs gelés.

Le ciel était un mélange de rose et de bleu, un peu comme une aurore boréale qui s'achevait. Tout était blanc, silencieux, glacé. Blottie contre la poitrine de Nergal, je n'avais pas froid. Puis la neige s'était mise à tomber et nous avions follement dansé sous les flocons.

Pourquoi est-ce que je n'ai rien oublié ?

***

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant