Chapitre 13

290 107 116
                                    


J'avoue que je suis impressionnée, ce truc reste ancré au sol en filant à une allure infernale. Un dispositif d'auto équilibrage assure une stabilité parfaite de l'engin, rend toute chute techniquement impossible. Nergal est équipé d'une simple visière en réalité augmentée sur laquelle s'affichent toutes les informations nécessaires au pilotage : itinéraire, vitesse, images avant et arrière, ainsi que latérales.

Quand on se rapproche des tours, je suis incapable de retenir une grande appréhension. Ceux d'en bas ne visitent les lieux que pour trimer aux incinérateurs, aux laveries, aux cuisines. Toutes ces activités laborieuses sont cantonnées dans les sous-sols des édifices. Quelques rares privilégiés accèdent aux étages afin de travailler dans les bars, des filles jeunes et belles pour la plupart. Les paris sont ouverts en ce qui concerne leur destin, certains affirment qu'elles vivent heureuses, gagnent très bien leur vie, d'autres parlent de réseaux sordides de prostitution tenus par le frère du gouverneur lui-même. Une certitude, c'est qu'une fois les étages franchis, leurs familles ne les ont plus jamais revues.

Il fait nuit noire à présent, nous nous engouffrons dans le ventre des tours. Le cœur battant, je remarque la police du gouverneur qui contrôle les arrivants, une empreinte biométrique suffit. Nergal a stoppé son engin pour se prêter négligemment au jeu. Le flic me balaye d'un regard dédaigneux, un soupçon vicieux, mais il ne me demande rien.

Est-ce l'habitude pour les types des tours ? Se pointer avec une nénette anonyme d'en bas, le temps d'une soirée ?

Je découvre un monde dont j'ignore tout, je ne suis pas rassurée. On emprunte un immense ascenseur, sorte de boite géante faite de verre et d'acier. C'est la première fois que je pénètre dans un truc pareil, mon cerveau "d'en bas" est totalement dépassé par cette masse d'informations nouvelles, inquiétantes.

Heureusement, nous sommes seuls. Il n'y a pas foule à cette heure tardive.

Les portes s'ouvrent sur un endroit paradisiaque, entièrement à l'air libre. Des senteurs extraordinaires chatouillent agréablement mes narines, autour de nous une profusion de végétaux se développe avec indolence.

Je n'en crois pas mes yeux !

Un serveur rouquin, longiligne nous conduit vers une élégante table ronde, recouverte d'une nappe où des fleurs inconnues paraissent s'enlacer amoureusement. Je ne suis pas en état de prononcer un seul mot, j'ai le souffle coupé.

C'est donc ça les tours ? Des parfums enivrants, des couleurs chatoyantes, une mélodie languissante qui résonne dans mes oreilles.

Sans m'accorder une attention particulière, Nergal pianote avec adresse sur l'écran qui déroule le menu. Je l'imite timidement, incapable au premier abord de choisir quelque chose.

— Je vais prendre le rôti de bœuf, il est délicieux ! s'exclame-t-il.

Beurk ! Cette viande fabriquée à partir des cellules souches d'une vache bien vivante ne me met pas en appétit. Et puis j'apprécie bien plus les légumes que la bidoche. Enfin, je crois...

Le serveur rouquin est doté d'une splendide paire de prunelles vertes. Ce type se déplace avec une grâce inimaginable, il virevolte allègrement de table en table. Il apporte sa fameuse barbaque à mon psy préféré, garnie d'un tas de machins étranges. Pour ma part, je savoure avec délectation une tarte aux tomates et courgettes nappée d'un délicieux fromage.

C'est comme un rêve qui, hélas, ne risque pas de durer.

Le rouquin nous offre un sourire qui remonte jusqu'à chacune de ses oreilles en empochant une petite quantité de crédits comme pourboire. Très peu d'argent réel circule encore, ce qui le rend plus précieux en quelque sorte.

Le repas est terminé, nous nous levons de table. J'ai le choc de ma vie...

Liam Neeson, le fils du gouverneur, et son horrible cousin débarquent dans le resto. Aucune possibilité de les éviter, à moins d'être invisibles. Aux portes de la crise cardiaque, je marmonne en direction de Nergal.

— Faut se tirer d'ici...

Vu le volume de nourriture qu'il s'est enfilé ce soir, le bonhomme risque d'être un peu lourd, il m'observe en souriant.

— Il n'y a pas le feu, miss Wyllt.

Si ! Justement ! Il est maso ou quoi ?

Le moment fatidique où nous croiserons Liam et son cousin se produira dans une demi-seconde. Déjà, les pupilles du fils du gouverneur s'attardent sur mon décolleté.

— Bonsoir !

La voix grave de Nergal a sonné tel un glas, Liam et son cousin répondent d'un léger hochement de tête.

Bordel de merde ! Quelle bestiole a pu les piquer ces deux-là ? On dirait qu'ils ont totalement oublié ma tronche et celle de Nergal. Une seule explication se dessine dans mon cortex enfiévré.

Liam et Cole sont victimes d'un puissant sort d'effacement.

Mon psy préféré n'est peut-être pas qu'un soldat, je me tourne vers lui la mine tourmentée, voire apeurée. .

— Vous êtes un sorcier !

C'est là qu'il explose de rire...

***

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant