Chapitre 27

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Nergal n'est toujours pas là.

J'éprouve le plus grand mal à réfléchir. Je reste assise sur le lit, son lit, le regard perdu dans le vague. Plusieurs heures ont défilé et la nuit commence à tomber. Je me mets enfin debout, raide comme une somnambule. Je n'ai aucune idée de la façon dont je vais rentrer, je dois pourtant quitter cet endroit. 

La porte de l'appartement se referme avec un léger clic. Machinalement, je pose ma main sur le lecteur biométrique, mais elle demeure close. Derrière moi, j'entends un petit toussotement.

— Un problème, miss ?

Mes prunelles indifférentes observent le type qui a parlé.

Merde ! C'est Liam Neeson, le fils du gouverneur, je bafouille précipitamment :

— Ce n'est pas chez moi... mon ami est parti.

Ses lèvres s'étirent en un mince sourire, j'ai bien peur qu'il m'ait reconnue.

— Je vois, j'espère qu'il n'a pas oublié votre rémunération, avoue-t-il avec un clin d'œil lourdingue. J'ai l'impression de vous avoir déjà rencontrée, mais je n'arrive pas à me rappeler où...

Ouf ! Le puissant sort de Nergal semble encore fonctionner, par contre ce connard me prend pour une pute. Le rouge me monte aux joues, je réplique froidement :

— Je ne suis pas une professionnelle, et je n'habite pas les tours. En plus, je suis pressée...

— Pardonnez-moi, miss, s'excuse-t-il, j'ai commis une erreur stupide.

J'ignore la main qu'il me tend d'un air contrit.

— Liam Neeson, enchanté, annonce -t-il néanmoins.

L'image de mon corps amoureusement lové contre celui de Nergal me traverse douloureusement. Je fixe Liam avec une expression hagarde, quasiment au bord des larmes.

— Je ne sais pas comment rentrer chez moi.

— Je peux vous emmener où vous voulez, miss, propose-t-il gentiment.

— J'habite à plusieurs miles des tours...

Il reste étonnamment courtois, sans doute que l'absence de son cousin lui est bénéfique. Nous nous dirigeons en silence vers les ascenseurs. Je n'ai pas la moindre envie de converser avec le fils du gouverneur, ma cervelle demeure bien trop en désordre.

J'étais tellement vivante entre les bras de Nergal. Même si je tente désespérément de le chasser hors de mes pensées, cette séparation brutale est comme une marque brûlante au fer rouge.

Tandis que l'engin volant de Liam fend les nuages, je l'observe à la dérobée. Blond, les yeux et la peau claire, il n'est pas dénué de charme. Sur mes indications, il atterrit devant ma modeste maison. J'ai passé toute la nuit dehors et c'était impossible de prévenir qui que ce soit, le réseau d'en bas fonctionnant très mal voire pas du tout.

— Et voilà, miss, annonce Liam en souriant.

Je le quitte un peu froidement, en me forçant à être un minimum sympa. J'ai une forte appréhension quand je pousse doucement la porte d'entrée. Les gonds usagés ont lancé un couinement qui attire aussitôt mon père.

— Bon sang, Evangeline ! Où étais-tu passée ? J'étais mort d'inquiétude.

Il ne hurle pas, craignant de tirer Elvis du sommeil, mais ce n'est pas l'envie qui lui manque.

— Tout va bien, papa... je suis désolée.

Il a jeté un coup d'œil dehors, juste pour apercevoir l'engin de Liam Neeson s'élever dans les airs.

— Tu as perdu la raison ou quoi ? Tu traînes avec ces sales types d'en haut... tu sais ce que deviennent les filles qui se comportent aussi bêtement, marmonne-t-il.

La tête basse, je supporte son regard dur sans broncher. Il semble presque me haïr quand il m'achève froidement avec quelques mots.

— Tu as le même caractère que ta mère, Evangeline. Tu pars à l'aventure sans te soucier de tes proches, sans songer à la douleur que tu leur causes. Tu es une égoïste qui ne pense qu'à elle.

Une brusque colère s'empare de moi et mon père est soudain projeté au sol. Par bonheur, il n'est pas blessé. Il se relève lentement, les yeux exorbités...

Une barrière d'énergie s'est érigée autour de moi, elle est infranchissable pour Rodney. Je tente de calmer la cacophonie qui brouille mes sens, qui fait trembler les murs de notre maison. Si je ne parviens pas à contrôler le chant, mon père et mon petit frère pourraient être tués à cause de moi.

Nergal n'est plus là... je me souviens de l'harmonie du chant lorsque j'étais blottie contre lui, de la paix ressentie. Les paupières closes, c'est comme si de nouveau ses bras se refermaient sur moi. Étrangement, tout s'apaise en quelques instants.

Mon père est encore sous le choc, un silence pesant s'est installé entre nous.

Ce jour-là, je dépose un baiser très doux sur la joue de mon petit Elvis en évitant de le réveiller, puis je quitte notre maison sans dire au revoir à Rodney. Je pars chez Ahn, parce que les mots de mon père ont déclenché une rage immense, à la fois pour lui et pour moi.

La sienne s'est montrée particulièrement cruelle, mais la mienne peut s'avérer mortelle.

L'Élue (Evangeline)حيث تعيش القصص. اكتشف الآن