Chapitre 9

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"Pourquoi Hariel Skyline et Nergal Del Rio se détestent-ils autant ?"

Ahn vient de poser la question, mais je suis incapable de lui répondre dans l'immédiat. Nos vélos progressent en quelques coups de pédales, nous ne sommes plus très loin de notre jardin.

Je revois Hariel Skyline, son sourire chaleureux lorsqu'il m'a rendu mon violon, ses cheveux dorés, lumineux, ses yeux très clairs comme ceux de Nergal. Ces deux-là semblent aussi déroutants l'un que l'autre. Dans une certaine mesure, j'ai la sensation qu'ils se ressemblent. Seraient-ils à l'image de ce vieux symbole oublié ?

Le Yin et le Yang.

Les prédicateurs en ont fait l'emblème de leur lutte. Ils prétendent que les forces de tout ce qui vit dans l'univers adopteraient un mouvement constant. Dans un cycle sans fin, les énergies contraires se combineraient en permanence les unes dans les autres pour former un tout.

Hariel ne pourrait-il exister sans Nergal, et inversement ? Ce serait la raison d'une haine mutuelle, fratricide en quelque sorte.

En haut des tours, la tendance reste de penser que le monde est absolument blanc ou alors absolument noir. Ceux d'en haut se vautrent dans la lumière céleste, tandis qu'en bas nous sommes censés nous complaire dans la fange d'une humanité expirante. Les colonies martiennes ou lunaires sont vendues comme un éden que seuls les plus méritants atteindront, autant dire les habitants des tours majoritairement et quelques très rares veinards d'en bas. L'estomac des hyper goliath représente une terrifiante possibilité pour les récalcitrants qui auraient quelques objections avec ce genre de théories sélectives.

Bien entendu, les prédicateurs sont dans le collimateur de nos dirigeants. Les hyper goliath dévorent un grand nombre d'entre eux, au rythme effrayant des arrestations plus ou moins spectaculaires. La seule existence de notre jardin suffirait à nous envoyer Ahn et moi dans la sphère du jugement. J'ignore comment nos dirigeants en sont parvenus à un tel niveau de cruauté. C'est peut-être parce tous sans exception sont les descendants des rapaces qui ont consumé les ressources de la planète dans le but d'accumuler toujours plus de profits.

Le peuple épuisé, exsangue s'obstine à survivre misérablement. Chaque année, les morts se comptent par milliers au cours des épisodes de chaleur extrême. Les écrans géants sont placardés sur tous les murs d'en bas et nous avons droit aux discours mielleux du Grand Conseil, depuis les colonies martiennes. La totalité des membres de cette vénérable institution ne siège plus sur la Terre, ils exercent leur joug à distance grâce à une armée de larves obséquieuses, zélées telles que notre cher gouverneur. Je ne suis pas loin de croire qu'un peuple opprimé à ce point n'a que deux choix possibles.

Se révolter ou bien mourir.

Hormis les prédicateurs, la plupart de ceux d'en bas n'ont guère pris conscience de cette équation, trop occupés à s'échiner sur des tâches obscures et ingrates. 

Nous dirigeons nos vélos au milieu des vestiges de la grande entrée. Prudente, Ahn jette un long regard derrière.

— Personne ne nous a suivies, murmure-t-elle.

Pour ma part, j'observe le ciel avec appréhension. Le danger surgit plus facilement d'en haut, sous la forme des drones de la sécurité civile. Le Tish Children's Zoo, du moins ce qu'il en reste, est plongé dans la quiétude de l'oubli. Les hommes ne se montreront plus désormais, mais deux jeunes filles avancent péniblement parmi les sculptures d'animaux musiciens. Le soleil est si brûlant que je distingue à peine la silhouette fragile de Ahn, déjà parvenue à proximité des arcades en briques rouges. Elle vient de tomber à genoux, je cours à sa rencontre, elle s'est peut-être blessée.

— Ahn ! je jappe son prénom avec inquiétude, en l'examinant attentivement.

Elle ne répond rien, ses yeux ressemblent à ceux des mystiques absorbés à contempler un dieu hypothétique qu'ils sont les seuls à voir. Son doigt pointe dans la direction fixée obstinément par ses pupilles. Je scrute les lieux à mon tour, tandis que le silence paraît se rompre. Des sons bizarres, frémissants résonnent au cœur de mes tympans, Ahn n'a pas l'air de les entendre. J'admire distraitement notre précieux jardin et me rétame lourdement par terre, la main crispée sur l'épaule de Ahn, la bouche entrouverte.

— C'est pas croyable.

— La grand-mère t'a écouté, le rituel a marché, souffle Ahn.

Les arcades abritent à présent une petite forêt végétale. Les plantes s'étalent langoureusement au sol, elles sont chargées de fruits aux couleurs et aux tailles diverses.

— Des tomates, suggère Ahn d'une voix émue.

Je réponds dans la même tonalité :

— Je crois bien qu'il y a aussi des courges, des salades...

— Il va falloir poser des tuteurs, réfléchit Anh en se grattant le menton.

Je n'ai aucune idée de ce dont il s'agit...

Les sons sont devenus plus forts. C'est comme une litanie à la fois proche et lointaine, les échos du vent, du feu ou alors de la glace. 

Comment est-ce possible ? 

Des insectes peut-être, mais je ne vois rien. Avant que cela cesse, j'ai reconnu une sorte de gémissement. Insouciante, l'air totalement réjoui, Ahn croque une tomate à belle dent.

— Bon sang de bonsoir ! C'est succulent, avoue-t-elle la bouche pleine en m'en tendant une mûre à point.

Elle ne serait pas aussi sereine si elle avait perçu les bruits étranges.

— Bon sang de bonsoir, répète-t-elle. Comment va-t-on expliquer ça à nos familles ?

— Mieux vaut ne rien leur dire du tout, conseille une voix grave.

Ahn avale de travers quand nous sursautons ensemble, elle est prise d'une quinte de toux sans que j'esquisse le moindre geste. Je demeure figée en reconnaissant Hariel Skyline.

Bordel de merde ! 

Ce type nous a suivies... 

Je déglutis avec difficulté, demande simplement :

— Vous allez nous dénoncer ?

Un éclair de contrariété traverse l'azur de ses prunelles.

— Bien sûr que non ! Les dirigeants de cette planète sont de vulgaires tyrans, mes supérieurs m'ont chargé de prêter main-forte à la résistance.

Pour une nouvelle...

***

Une superbe tomate en forme de coeur

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Une superbe tomate en forme de coeur.

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