Chapitre 31

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Nergal Del Rio, constellation du Cancer, à environ 1 500 années-lumière de la Terre.

Le corps de ma reine s'est cabré sous le mien, sa bouche s'est tordue sous l'effet d'un long râle de plaisir. Une lueur sauvage, plus encore qu'à l'habitude, a jeté des paillettes d'argent dans ses yeux sombres.

— Mon tendre Nergal, souffle-t-elle, comment ai-je pu me priver de tes étreintes ?

Sa main effleure mon torse dénudé, s'attarde sur mon bas ventre d'un geste empreint de gourmandise.

— Plus question de t'envoyer au fin fond de l'univers, général. Les mondes à conquérir attendront... le temps que je me lasse de mon magnifique amant, murmure Ereshkigal avec une inflexion cruelle.

Pour toute réponse, je m'empare avec avidité de sa bouche et la renverse sous mon corps, une autre fois. Insatiable, ma reine en demande toujours plus. Et lorsqu'elle est enfin repue... son esprit aiguisé s'interroge.

— Sais-tu, général, que j'avais prévu ton départ en mission... très loin ? Je me méfiais de toi, achève-t-elle brutalement.

Je plonge négligemment mes yeux de glace au fond des siens.

— Pourquoi donc, ma reine ?

Elle se lève soudain et tourne en rond, hésitante, un peu comme un enfant qui se serait perdu.

— C'est à cause de ce que tu as demandé... en ce qui concerne la descendante de Myrddin Wyllt, marmonne-t-elle. Tu sembles espérer que cet insecte vive... même lorsqu'elle aura mis bas.

Ses dents ont mordu la partie la plus charnue de sa lèvre, de fines perles sanglantes glissent le long de son menton, la rendant incroyablement séduisante.

— Cette fille n'est qu'un jouet... je désire le faire durer, Majesté. J'aimerais la torturer moi-même et prendre mon temps. Si ma reine accepte de m'accorder cette distraction, le moment venu.

— Alors tu veux la laisser en vie pour la regarder souffrir... je reconnais bien là mon implacable commandant en chef, jubile-t-elle en se lovant contre moi. Je ne supporte pas l'idée d'être trahie. Mon propre père voulait me faire disparaitre, gémit-elle, il me détestait et préférait mon frère.

Ma langue s'enroule autour de la sienne et je la fais mienne à même le sol, une autre fois.

Ma reine s'est enfin endormie. Par le passé, elle a fait preuve d'un appétit plus grand encore, d'une soif insatiable que je parvenais difficilement à assouvir.

Aujourd'hui, ses pouvoirs s'amenuisent au fil des siècles et elle recherche un héritier.

Celui qui naîtra du ventre d'Evangeline.

Ce sera un fils, j'ai fait en sorte qu'il en soit ainsi quand j'ai fécondé la descendante de Myrddin Wyllt, comme ma souveraine le souhaitait.

Ereshkigal repose paisiblement. J'en profite pour m'éclipser en silence. Sa Majesté sera mécontente si elle se rend compte de mon absence, je ne dois pas traîner...

Je m'enfonce dans les entrailles de son palais, la plainte lugubre des vents qui balayent en permanence ma planète traverse les murs épais et semble accompagner mon périple. Je n'ai pas la sensation de risquer mon existence, pourtant ce que j'entreprends est follement dangereux. 

Mortel, si ma reine s'en aperçoit.

J'ai atteint les profondeurs de l'édifice, la glace est omniprésente, l'air à peine respirable... même pour moi.

Myrddin Wyllt était  parvenu jusqu'ici, sa magie le lui avait permis. Le combat avait été effroyable, titanesque. J'étais encore très jeune à l'époque, le cœur vibrant de respect et d'amour pour ma magnifique souveraine attaquée de toute part.

Peu avant les affrontements, Ereshkigal avait frappé à mort son propre père au cours d'une mémorable altercation. Celui dont on disait qu'il était à l'origine de tout ce qui vit, de tout ce qui meurt aussi. Seul un dieu peut tuer un autre dieu, et le père d'Ereshkigal s'était affaibli... tout comme elle aujourd'hui. Il fut réduit en poussière par son enfant, disséminé à tout jamais parmi ses créations. C'est ainsi que la guerre avait violemment éclaté entre elle et son jeune frère.

Ivre de rage, de douleur, il avait réclamé vengeance.

J'ai enfin atteint mon but... les portes de pierre se trouvent devant moi. Nul gardien, ce serait parfaitement inutile. Le givre masque en partie les visages et les corps convulsés par l'effroi dont elles sont recouvertes. La légende raconte qu'il s'agit en réalité de tous ceux qui ont osé contrarier ma reine, et non pas d'une simple sculpture.

La peur n'a jamais fait partie de mes priorités.

Depuis mon retour, j'ai remarqué que le froid s'intensifiait, que la pénombre dans laquelle est plongée ma planète s'épaissit de plus en plus. Lancer un sort est périlleux, mais je dois absolument vérifier quelque chose. À côté des portes, au milieu des glaces, j'ai enfin trouvé ce que je cherchais.

Un petit tas de cendres.

Rien ne distingue les cendres humaines des autres, elles possèdent la même couleur grise, le même aspect pitoyable. Pourtant, j'ai sous mes yeux tout ce qu'il reste du plus grand sorcier de l'univers. Celui qui a fait trembler ma reine elle-même, celui qui aurait pu la vaincre.

Myrddin Wyllt.

Ma magie, aussi puissante soit-elle, n'a pas le pouvoir de traverser les portes de pierre. D'un geste empreint de respect, je prélève une pincée de cendres entre mes doigts. Les incantations s'échappent, je ne dispose que de quelques fractions de seconde...

La lumière surgit brusquement, son intensité pourrait durement brûler une créature de l'obscurité telle que moi. Une forme vivante, fugitive, recroquevillée sur elle-même apparaît au-delà des portes.

Ça n'a duré qu'un bref instant, mais j'ai obtenu ma réponse.

Je retourne discrètement auprès d'Ereshkigal. Elle dort toujours, sa tignasse de jais s'est éparpillée sur son beau visage en une succession de lianes.

D'autres cheveux, comme de l'or répandu sur une peau d'albâtre, et mes doigts qui se perdent dans des contours délicats, parfumés.

C'était la dernière fois, juste avant de rejoindre mon vaisseau.

***

Can't Help Falling in Love (Je ne peux pas m'empêcher de tomber amoureux)

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant