Chapitre 57 (partie 2)

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C'est pas vrai !

Le blondinet est en train de faire mumuse avec le corps de mon Nergal, on croirait que le morveux tape au hasard sur les touches d'un piano invisible. Désespérée, au bord de l'évanouissement je scrute le cocon lumineux, transparent d'où on aperçoit comme un bouillonnement de chair et de sang.

Pour l'instant, rien là-dedans ne ressemble à mon magnifique être obscur.

Les rares survivants de la bataille entre moi et Ereshkigal observent eux aussi le spectacle, la disparition tragique de leur souveraine semblant leur avoir ôté toute velléité d'agressivité.

— C'est qu'on l'aimait bien, le général, marmonne même l'un d'entre eux.

— Un sacré combattant, renchérit un deuxième, on aurait dit un lion face à la reine.

— C'est qu'il lui a donné sacrément du fil à retordre, approuve le premier en hochant son énorme tête.

Je sais que Nergal aurait apprécié le respect et la considération de ce peuple de l'ombre qu'il souhaitait délivrer du joug d'Ereshkigal. Cette garce les tenait par l'effroi d'un terrible châtiment, les croix de feu ou quelque chose d'encore plus abominable.

Finalement, ces deux-là ont l'air de gentils monstres... ils en sont presque émouvants.

J'ignore ce qui va sortir du cocon de lumière.

Un autre Nergal, peut-être ?

Une créature pareille aux démons ordinaires, musculeux, trapus et ventrus, avec des cornes sur leur tête qui les font ressembler à des taureaux.

À part Nergal, le seul qui était vraiment différent c'était Kobal, l'exécuteur implacable et givré dépêché par la reine. Je me souviens encore de sa botte parfumée pesant inexorablement sur ma carotide.

Il faut reconnaître que ce salaud était presque aussi beau que mon Nergal.

Mon Nergal ?

En quoi est-il mien, l'ex-général en chef de cette pétasse transformée en statue par mes soins ?

J'enrage à l'idée du nombre de fois où il a couché avec elle.

Je ressens un mince filet obscur qui cherche à s'insinuer entre mes reins.

C'est donc vrai que j'ai fait une overdose de noirceur et que j'ai avalé tous les pouvoirs d'une déesse.

Moi, Evangeline Wyllt !

Mais si j'ai perdu Nergal, tout cela est vain à mes yeux.

Je survivrais pour Samson... hélas, mon cœur sera irrémédiablement brisé.

Je pousse un long soupir en fixant tour à tour le cocon et le visage concentré du petit roi.

Pauvre Jaï ! J'ai été si injuste avec ce gamin.

Pauvre petit roi ! Sa courte vie a été forgée de combats fratricides et il n'a plus personne au monde, hormis Hariel Skyline.

Il paraît produire des efforts intensifs, des gouttes de lumière dégoulinent de son front tout comme de la sueur.

— Le cocon va s'ouvrir, souffle-t-il.

J'ai le cœur battant, mes prunelles sont inexorablement happées par la lente descente du cocon depuis la croix vers le sol. Dans un silence religieux, une mince déchirure apparaît, puis une autre.

Une main longue et fine, une peau aux teintes sombres d'onyx traversées par l'éclat du diamant.

Une silhouette enfin, souple, élégante, parfaitement musclée.

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant