Chapitre 6

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Nergal Del Rio est debout. Ses yeux restent obstinément scotchés au plafond, comme s'il souhaitait se trouver dans n'importe quel endroit de l'univers, pourvu que ce ne soit pas dans ce petit bureau étriqué et pourvu que ce ne soit pas en face de moi.

Pas de cigare fumant entre les lèvres du bonhomme, cette fois.

Je sens bien qu'il me déteste. Je constitue sans doute une sorte de poil à gratter dont il a l'espoir de se débarrasser un jour très proche. Une question me brûle la langue.

— Pourquoi vous m'avez aidée ?

Ses iris ont quitté les hauteurs, ils sont si limpides qu'ils évoquent ce ciel sans le moindre nuage que nous contemplons quotidiennement. Les climatologues du siècle précédent estimaient que la raréfaction des strato-cumulus était un signe mortel pour la planète.

— C'est moi qui pose les questions, ma petite.

Satané con ! Il affiche un air supérieur qui me donne envie d'éclater sa maudite tronche de robot.

— Je ne suis pas votre "petite".

— C'est ce qu'on verra, miss Wyllt, réplique-t-il d'un seul trait. Et si nous parlions un peu de toi...

— Vous n'avez qu'à mettre le nez dans vos foutus dossiers.

— Tu commences vraiment à me fatiguer, soupire-t-il. Tu étais ridicule contre ce mec, tu avais neuf chances sur dix de te faire embrocher.

— Et vous, en attaquant le neveu du gouverneur, vous aviez neuf chances sur dix de finir dans l'estomac d'une hyper goliath. J'ai été très étonnée que notre rendez-vous de ce matin n'ait pas été annulé.

Il éclate d'un rire sarcastique, étrange, teinté d'une menace inconnue.

— Tu n'es qu'une sale petite peste, j'aurais dû laisser ce connard te faire ta fête.

Sans prévenir, mon pied est parti comme un éclair en direction de son entrejambe. Je maudis mon impulsivité naturelle, mais je me régale quand ma chaussure atterrit directement sur ses couilles. Hélas, il n'a pas émis le moindre couinement de douleur.

Pas de doute, ce type est en acier.

Il a bondi vers moi avec la souplesse d'un guépard et je lance mon poing en avant sans réfléchir. Je ne tarde pas à regretter ce réflexe défensif quand je me retrouve violemment plaquée au sol. Ce salopard bloque l'articulation de mon épaule au maximum de son amplitude, c'est atroce.

— Ça doit faire très mal, souffle-t-il.

Il semble prendre plaisir à me sentir tendue par la souffrance, proche de le supplier pour qu'il relâche sa prise.

— Si tu avouais ce que tu caches, mon petit cœur, murmure-t-il en accentuant légèrement sa manipulation.

Tout mon corps s'est cabré sous la douleur devenue plus forte, mes jambes battent dans le vide en signe de détresse absolue.

— Du calme, conseille-t-il sournoisement, tu es en de très bonnes mains. Je suis un expert... pour un tas de trucs.

Ma respiration s'est faite plus saccadée, je parviens néanmoins à cracher quelques mots.

— Fous-moi la paix ! Sale pervers !

Il rit franchement, en prenant le temps de me détailler de la tête aux pieds.

— Jolie, quoiqu'un peu maigrichonne. T'es pas trop mon genre... désolé.

Mon cerveau est en feu, mes yeux noyés de larmes. J'ai mordu ma lèvre inconsciemment et un goût ferreux de sang a envahi ma bouche. Cette brute me libère d'un seul coup, il a sans doute compris que j'étais très proche de tomber dans les pommes. Je reste vautrée par terre quelques secondes, avant de trouver la force de me relever.

— J'espère que ça t'aura servi de leçon. Ne t'avise plus jamais de me frapper, je suis du genre chatouilleux.

Il a balancé les mots d'un ton si glaçant que toute ma combativité est provisoirement anéantie. L'obsession de la fuite, si possible en un seul morceau, traverse mes neurones en boucle.

— J'aimerais vraiment qu'à l'avenir tu te montres plus courtoise, mon rapport sera lu attentivement en hauts lieux. Il ne s'agit pas que de toi, Evangeline... tu dois penser à ton père, et aussi à Elvis.

Je rêve ou quoi ! Cette enflure vient de menacer ma famille, il contemple avec une évidente satisfaction mon visage ravagé par l'angoisse.

— Casse-toi, ordonne-t-il brutalement, et n'oublie pas notre prochain rendez-vous.

Je détale le plus vite possible, honteuse de la méga trouille provoquée par ce type. L'odeur amère de l'humiliation additionnée à celle de la défaite, tout autant dégueulasse, me colle intensément aux basques. J'arpente le couloir sans vraiment savoir où je vais, je heurte quelqu'un...

— Fais chier !

Ma rage a explosé sur cet inconnu. Je croise un regard amusé, un beau visage sexy encadré de cheveux mi-longs.

— Vous ne m'avez pas vu, constate-t-il en me tendant la main avec courtoisie. Hariel Skyline, je suis le nouveau professeur de musique.

— Evangeline Bradford... Wyllt...

Hésitante, j'ai décliné mon identité avec l'habitude d'être mal considérée à cause de mon nom.

— Ravi de te rencontrer, Evangeline, annonce-t-il gentiment, j'espère te voir à mon prochain cours. Je sais que la musique n'est pas obligatoire, alors permets-moi d'insister.

Je hoche la tête pour lui signifier mon accord. Ahn a vu juste, le nouveau prof de musique est carrément à tomber. C'est plutôt étrange qu'un mec tel que lui débarque dans un lycée d'en bas pour enseigner la musique, tout autant que l'arrivée inopinée de Nergal Del Rio dans ma vie. À croire que cet endroit minable et sans le moindre intérêt est devenu une véritable attraction.

***

Bonne nouvelle ! 

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Bonne nouvelle ! 

Nergal aime les chats...

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant