Chapitre 57 (partie 1)

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Hariel Skyline...

Aussitôt mon roi mis à l'abri, je suis revenu sur les lieux de la bataille pour assister à l'inimaginable.

Comment la lointaine descendante d'un hybride entre un démon et une humaine pouvait-elle absorber en quelques secondes presque toute la noirceur du monde ?

La question de la survie d'Evangeline était évidente quand sous l'influence d'une formidable magie obscure tout son organisme fut envahi par une nuit d'encre... ses yeux... sa peau... le sang qui autrefois coulait dans ses veines, plus rien n'était humain.

Le chant avait griffé des lignes sinueuses qui serpentaient le long de son visage et de son corps, lui donnant l'apparence d'une prêtresse sombre et maléfique consacrée à abattre ses ennemies sans pitié.

Bien sûr, je savais que cette jeune fille ne serait jamais vouée à la lumière.

Son attirance passionnelle envers le général en était le signe avant-coureur, sinon la preuve irréfutable. Elle avait accepté de s'offrir en pâture aux forces universelles les plus destructrices à cause de lui, pour vaincre le mal absolu qui était venu à bout de Nergal Del Rio.

Le mal contre le mal.

Ce que nous, les êtres de lumière, n'avions jamais osé espérer !

Pourquoi le mal défierait-il le mal ?

Sinon par amour.

Evangeline a heureusement gagné la plus dure des batailles, les vestiges d'Ereshkigal sont figés pour l'éternité au même titre que les cendres du regretté Myrddin Wyllt. L'élue a uni pour toujours les victimes et les bourreaux dans ce fleuve divin qui parcourt inlassablement le monde, charriant les âmes à la rencontre de leur destin.

Puis le miracle s'est accompli sous mes yeux, l'obscurité a brusquement relâché sa proie. Evangeline a soudain vomi de puissants, violents flots noirs... la rage, la souffrance, l'anéantissement s'échappaient enfin d'elle.

Désormais, cette incroyable guerrière demeure affaissée par le chagrin au pied de celui qu'elle chérissait si fort.

— La douleur ne disparaîtra pas, puisqu'elle l'aimait.

J'ai reconnu la voix douce et frêle de Jaï, mon roi.

— Votre Majesté, vous deviez rester à l'abri. J'ignore si l'élue représente un danger pour vous, nous devons être méfiants.

J'ai vu cette malheureuse enfant tuer des innocents sous l'effet de la colère et je suis prêt à l'affronter, même si tout combat contre elle est à coup sûr mortel.

Qu'il le veuille ou non, Jaï s'avère désormais l'exact opposé de l'élue.

Je suis décidé à protéger mon roi aux prix de ma vie. 

Lorsqu'il s'avance vers elle à petits pas légers, totalement inconscient du danger, mon sang ne fait qu'un tour.

— Votre Majesté ! Prenez garde !

— Je ne crains rien, assure-t-il calmement.

Elle semble paralysée, absorbée par l'abominable vision des restes calcinés de son amant perdu.

— Satisfait, gamin ! Ta méchante sœur n'est plus qu'une statue, ça devrait te faire plaisir, dit-elle les yeux encore fixes, comme si son regard demeurait le tout dernier lien avec le général et qu'elle ne saurait le briser.

— Il s'est battu avec courage, reconnaît gentiment Jaï.

— Quelle importance ! lâche-t-elle quand des larmes glissent le long de son visage émacié, marqué par l'âpreté de l'affrontement avec Ereshkigal.

Les jolis doigts potelés de mon roi valsent sur l'une des joues de l'élue pour recueillir effrontément un soupçon de pleurs.

— Saleté de morveux, rétorque-t-elle en colère. Ne t'avise plus de me toucher ou je te pulvérise.

— Aucun doute là-dessus, avoue-t-il sans se démonter. Il te suffirait d'appeler à nouveau le chant obscur et je me retrouverai très vite dans le même état que ma sœur. Je serai en mesure de t'affronter dans plusieurs années, lorsque j'aurai beaucoup grandi.

Elle s'est enfin tournée vers Jaï, les traits gonflés par toutes les larmes versées en silence.

— En attendant, fiche-moi la paix ! crache-t-elle. J'aimerai être seule pour me recueillir.

— Mais j'ai déjà pris quelques centimètres, continue-t-il joyeusement, et je sens que mes pouvoirs reviennent.

Ses yeux dévastés le balayent d'un mépris à la fois désespéré et orgueilleux.

— Un peu tard, Votre Royauté. Les victimes de votre sœur tapissent cet endroit, au cas où vous n'auriez pas remarqué.

— Ce ne sont que des êtres obscurs, riposte mon roi. Et tu ne t'es pas gênée pour massacrer en grand nombre les fidèles d'Ereshkigal.

— Je ne faisais que me défendre, lance-t-elle avec exaspération.

— Tu as fait plus que ça, Evangeline ! Tu as avalé les pouvoirs de ma sœur comme une gloutonne parce que l'obscurité t'a séduite... ce démon t'a séduite, précise-t-il froidement en désignant le cadavre du général.

Il est si difficile de reconnaître celui qui fut Nergal Del Rio dans cette pitoyable carcasse exposée sur la croix. Son corps détruit et atrocement dévoré de l'intérieur, son visage déformé, rongé sous la torture des flammes témoignent de son affreux calvaire.

— Hélas, les combats sont loin d'être terminés, soupire Jaï. Quand j'étais prisonnier derrière les portes de pierre, j'ai senti qu'il se rapprochait.

— Qui ça ? demande-t-elle en haussant les épaules, trop épuisée pour relever les paroles blessantes de mon roi.

— Tu le sauras bien assez tôt, renchérit mystérieusement Jaï, il n'en reste pas moins que j'ai décidé de t'offrir un cadeau...

— Une boîte de chocolat ? coupe-t-elle hargneusement.

Mon roi s'est mis à tortiller savamment ses petites mains.

— Il faut croiser les doigts, marmonne Jaï, et espérer que tes larmes sont aussi pures que du cristal.

Les pupilles de l'élue s'écarquillent quand des éclats de lumière se détachent des menottes de mon roi. Des insectes fragiles qui virevoltent autour des restes du général jusqu'à le recouvrir en totalité.

— Ma sœur savait animer des pantins, des répliques de ce qui avait été vivant. Mais je peux faire bien mieux qu'elle, promet-il en souriant malicieusement.

***

La deuxième partie sera publiée samedi prochain ^^

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant