Chapitre 54

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— Mais où peut-il bien être ?

Tour à tour, mon regard interroge Hariel, puis Nergal... face au trou béant que je viens d'ouvrir. Pas la moindre silhouette recroquevillée là-dedans, à croire que le roi de la lumière s'est tout bonnement volatilisé.

— Mon souverain est ici... nous devons le trouver, marmonne Hariel d'un air résolu.

— Je ne suis pas certaine de suffisamment maîtriser cet endroit pour me risquer à entrer, dis-je vivement, les portes pourraient se refermer sans prévenir.

— Tu sous-estimes beaucoup tes capacités, insiste Nergal. Moi et mes partisans tiendrons la reine à distance... le temps que tu nous amènes son frère pour la pulvériser !

Il semble avoir tellement confiance en moi, au point que j'ai la sensation de promener entre mes doigts maladroits son existence et celle de ses compagnons.

Une responsabilité si lourde, si effrayante.

Alastor, mon ex-bourreau, surgit alors devant nous... il transpire à grosses gouttes et son faciès épais reflète une peur panique.

— Général ! Ils nous ont trouvés ! La barrière va tomber... et les soldats fidèles à la reine sont nombreux, gémit-il.

Les prunelles si claires de Nergal montrent une grande habitude des combats difficiles, une implacable détermination. Nos regards se défient un instant... comme si ni l'un ni l'autre ne possédions le courage d'avouer ce qui nous brûle les lèvres. Puis une sorte de carapace sombre et lustrée se matérialise sans prévenir sur son corps... une armure sans doute.

Cette chose pourra-t-elle le protéger contre les terribles attaques d'Ereshkigal ?

Je le contemple une dernière fois avant de m'enfoncer dans l'étrange trou créé par Myrddin Wyllt.

Où qu'il soit... je dois impérativement dénicher le jeune Jaï.

***

Ça fait plusieurs minutes que je progresse aux côtés d'Hariel dans l'obscurité... cet endroit paraît intermédiaire entre la magie et le réel. J'ai l'impression qu'il suffirait d'un mince claquement de doigts pour que le néant autour de nous se referme irrémédiablement.

Le chant est absent, mais les échos de la terrible bataille engagée par Nergal et ses partisans sont encore audibles. Je ne veux pas imaginer le pire malgré l'angoisse qui bouleverse mon cœur, me serre durement les tripes.

Quelle tragédie de tomber amoureuse d'un être obscur... un putschiste qui plus est !

Quelle tragédie d'espérer qu'il éprouve peut-être des sentiments pour moi et pour notre enfant ?

Ou alors quelle incroyable stupidité ?

Mes yeux fouillent les lieux avec avidité... jusqu'à apercevoir comme de fugitives paillettes argentées.

— Je suis là, indique faiblement une toute petite voix.

— Votre Majesté, s'exclame Hariel, le ton vibrant d'allégresse.

Une forme vaporeuse apparaît à quelques mètres de nous, ses cheveux sont blonds et bouclés...  son visage poupin, ses lèvres rosées ne reflètent aucune trace de sa longue captivité.

Il marche vers Hariel à petits pas délicats, fragiles.

Bordel de merde !!!

Il mesure un mètre à tout casser... c'est... un enfant !!!

Le frangin d'Ereshkigal est un petit bonhomme d'environ quatre ans, haut comme trois pommes. Mes prunelles mornes et dépitées observent Hariel Skyline qui s'est respectueusement fendu d'un genou à terre devant son "roi".

Je vais me pincer très fort... pour être sûre de pas cauchemarder.

Ouille ! C'était hyper violent !

Le morveux part en grosse rigolade.

— Pourquoi t'as fait ça ?

— Pour rien, je réponds avec une sacrée envie d'aplatir ce petit con.

Franchement, ma première impression est loin d'être bonne. Mon adorable Elvis est bien plus choupinet, et je ne vous parle pas de mon Samson... parce que lui, il est évidemment hors catégorie.

***

J'ai le moral au plus bas, aussi bas que le bout de mes orteils, pendant que "Sa Majesté" nous raconte ses péripéties d'une voix plaintive :

— J'ai bien cru que j'allais rester enfermé là-dedans pour toujours... tout était noir, triste et froid. J'étais atrocement privé de la lumière... je pleurais abondamment... je pensais à mon pauvre papa que ma méchante sœur a assassiné sans pitié.

Elle l'a plutôt dévoré... minuscule couillon !

J'ai compris pourquoi Myrddin t'a bouclé au cours d'un féroce combat... c'était pour que tu la boucles... justement.

— J'ai mal aux pieds ! Je déteste cet endroit sombre, glacé...

Et patati et patata ! Un vrai moulin à parole ce morveux.

— Nous sommes proches de la sortie, Votre Majesté, annonce Hariel avec déférence.

— Tant mieux ! réplique le gamin. Je vais enfin revoir la lumière...

Je ne peux pas m'empêcher d'esquisser un rictus moqueur, voire sadique.

— Ce sera difficile... "Votre Royauté" ! Vu que votre sœur a boustifaillé tout ce qui dans le coin avait un rapport avec la lumière... à part vous.

— Quoi ? s'offusque le petit avec la mine d'un séraphin outragé. Mais c'est impossible...

— Hélas, compatit Hariel en baissant la tête.

— Mon abominable sœur a donc gagné la bataille, s'inquiète "Sa Royauté" en blanchissant à vue d'œil.

Et comment !

— Que sont devenus mes braves soldats ? interroge-t-il en pleurnichant.

— Tous morts, je lâche cruellement, vous devrez affronter votre garce de frangine tout seul, "Votre Royauté".

On est presque arrivés à la sortie... étrangement, tout est silencieux.

Et Jaï vient de s'arrêter, il est en larmes.

— Tu ne comprends pas, murmure-t-il. Je suis bien trop petit pour combattre Ereshkigal... j'ai été privé de lumière si longtemps, alors je n'ai pas pu grandir.

Il ne manquait plus que ça !

Le frangin lilliputien de "Sa Monstruosité" est un authentique boulet. Je déglutis pour modérer un bref instant la panique qui commence à emballer l'ensemble de mes organes.

Toujours aucun bruit.

C'est tout sauf normal.

***

Un chapitre en trois mouvements... comme sur une partition. 

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant