Stockholm

By Ellzace

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[SF~romance~morally grey] Un vaisseau, deux passagers clandestins, dix mois pour prendre le contrôle. Qui de... More

0 - Prologue + Bande-annonce
1 - Kourou (1/2)
2 - Kourou (2/2)
3 - Enfermement
4 - Capitaine Falco
5 - Premier contact
6 - Un quatrième passager
7 - A bout de souffle
8 - Dessine-moi un mouton
9 - Numéro 7
10 - Les dessins de la colère
11 - Chaos
12 - Des lions en cage
13 - Jeu de lumière
14 - Cachotteries
15 - Le seul maître à bord
16 - Œil pour œil
17 - Retrouvailles
18 - Promiscuité
19 - Souffler le chaud et le froid
20 - Let's rock
21 - Poignée de main
22 - Meilleurs ennemis
23 - L'ennemi de mon ennemi
24 - Choisir un camp
25 - Promenade de santé
26 - Froideur
27 - La chute d'un héros
28 - Captif (1/2)
29 - Captif (2/2)
30 - Doux comme un agneau
31 - Les portes du pénitencier
32 - Bon appétit
33 - Ferme les yeux
34 - Gestes invasifs
35 - Chacun ses secrets
36 - Planète de malheur
37 - Les sirènes de la colère
38 - Détention
40 - Le cœur ou la raison
41 - Négociations
42 - Se rendre utile
43 - Coup fourré
44 - Panser ses plaies
45 - Dans les intestins du Stockholm (1/2)
46 - Dans les intestins du Stockholm (2/2)
47 - A l'embranchement des voies
48 - Tromper la solitude
49 - La gardienne de ses nuits
50 - La fin d'une parenthèse

39 - Vérité aveuglante

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By Ellzace

Luc patientait près de la porte, il n'avait pas osé faire plus de deux pas en direction de la cellule. Il tenait un plateau de nourriture, fébrile. La cuillère tremblait sur le revêtement de plastique dur et un quignon de pain rassis oscillait près du bord. L'apprenti détournait les yeux pendant que Nevak et Horton faisaient sortir Seth de sa prison, sous le regard désapprobateur d'Ellie.

Le captif se montrait docile, l'air d'avoir déjà jeté l'éponge. Les yeux bandés et la tête basse, il se laissa guider hors de la pièce par les bourrades indélicates des soldats. Ils seraient moins tendres qu'ils ne l'avaient été durant l'interrogatoire de Luc. Oui, le jeune mécanicien avait bien fait de leur dire d'emblée tout ce qu'il savait, sinon il aurait été bon pour bien plus qu'une intense séance d'intimidation.

Les soldats et leur prisonnier disparurent derrière la porte, laissant Luc seul face à celle qu'il avait trahie. Elle le fixait avec un mélange déconcertant de curiosité et d'amertume.

— Ça a plutôt intérêt à être pour moi, ça, prévint-elle en adoptant une posture nonchalante sur le bord de la planche de couchage.

L'apprenti manqua de faire tomber son plateau, pas encore prêt à affronter les conséquences de ses actes. Ses réseaux neuronaux se mirent en branle et il comprit, après quelques secondes d'hébétude, qu'Ellie lorgnait sur la nourriture entre ses mains.

— Oh, euh, oui, bien sûr, bafouilla-t-il en décollant enfin ses semelles du seuil.

Devant les barreaux, il constata qu'il ne pourrait pas passer son plateau de l'autre côté. Il dut se résoudre à le poser au sol tandis que la captive s'installait en face. En glissant sa main hors de la cellule, elle saisit la cuillère qu'elle plongea dans une assiette de riz avec une satisfaction non dissimulée. La contrainte des barreaux entre la jeune femme et le plateau-repas ne parvenait pas à gâcher son plaisir.

— J'avais pas le choix, tenta de se dédouaner Luc, après un long silence qui faisait perdurer son malaise.

Ellie attrapa une boîte de sardines à l'huile au couvercle enroulé sur lui-même et y piocha un petit poisson qu'elle goba tout entier, avant de se lécher la pulpe des doigts avec gourmandise. Elle n'avait pas l'air de vouloir engager la conversation avec son ancien allié. L'apprenti guettait des remontrances qui n'arrivaient pas, ce qui était pire d'une certaine manière. Il se sentait ignoré, même pas assez estimé pour qu'on se donne la peine de lui en vouloir.

— On m'a pas autorisé à te donner de couteau, déplora-t-il en la regardant engloutir les sardines entières une à une.

— Pas grave, au moins celles-là sont cuites. Quand j'étais à l'armée, on nous a fait gober des sardines crues pour apprendre à contrôler notre réflexe vomitif. Et je peux t'assurer que même ça, c'était pas aussi répugnant que les rations de survie qu'on se tape depuis des mois.

Qu'est-ce qui était censé surprendre Luc le plus dans tout ça ? Qu'elle lui révèle sans préavis un passé militaire jamais évoqué jusque-là ? Ou bien qu'elle s'adresse soudain à lui avec un sourire, comme si la présence de barreaux entre eux n'était pas le fait d'un acte de délation regrettable ?

— Ils ont consulté tout l'historique des commandes, se justifia encore l'apprenti, poussé par un besoin irrépressible de s'auto-flageller. Ils auraient fini par comprendre et vous trouver, même si j'avais tenu ma langue.

— Alors ils te font confiance maintenant ? supposa Ellie, plus intéressée par les opportunités à venir que par les erreurs du passé.

— On peut pas dire ça, non. Ils me pensent faible et inoffensif, et ils n'ont pas tout à fait tort.

— Conforte-les dans cette idée le plus longtemps possible, encouragea la prisonnière en ouvrant un paquet de fruits séchés. Quand le bon moment se présentera, tu me feras sortir d'ici.

Une telle assurance se dégageait de la jeune femme qu'elle en devenait en partie communicative. C'était si agréable de pouvoir se reposer sur sa force à nouveau, simplement lui obéir et se sentir guidé, protégé. Ça éloignait un peu l'angoisse provoquée par ces changements hors de contrôle, malgré l'inquiétude grandissante liée à tout ce qui était encore à venir.

— Je sais pas si je pourrai... hésita Luc, le regard fuyant.

— Tu pourras, assura Ellie sur un ton ferme et définitif.

Elle avait fini de manger et retourna s'asseoir sur le semblant de lit, signifiant ainsi que la discussion était close. La culpabilité pesait encore sur les épaules de l'apprenti, mais il entrevoyait une possibilité de se faire pardonner, même si ça lui faisait peur d'agir dans le dos de l'ADICT. Il n'était pas sûr de pouvoir se rendre utile. Il était toutefois motivé à faire de son mieux pour se racheter aux yeux de son amie, et peut-être qu'ensuite elle consentirait à lui expliquer pourquoi elle lui avait dissimulé des choses telles que l'existence de la chambre froide.


⭐⭐⭐


Aucune horloge n'indiquait l'horaire dans la pièce qui contenait la cellule d'Ellie. Ça devait bien faire une heure que les soldats avaient emporté Seth pour l'interroger, ou peut-être seulement pour le torturer – on se distrayait comme on pouvait pendant les longues missions dans l'espace.

Le court passage de Luc avait entrouvert une fenêtre. Il y avait une chance pour que l'apprenti se montre utile, mais Ellie ne misait pas beaucoup sur lui. Il était trop fragile, trop facilement influençable par la dernière personne à avoir haussé le ton. Au moins, il lui avait apporté de la nourriture correcte et elle se sentait déjà dans de meilleures dispositions pour réfléchir à un plan.

Une lumière s'alluma dans le couloir, puis dans la pièce, à l'entrée du duo Nevak-Horton. Ils soutenaient de chaque côté un Seth amorphe, les jambes molles traînant sur le sol, face contre terre. Le capitaine Dubrov arriva à leur suite, un shocker dans une main et une matraque dans l'autre.

Ellie se plia au geste impérieux qui lui ordonnait de s'écarter de l'ouverture. Elle recula au fond de la cellule, le temps que les soldats déposent leur fardeau sur le lit inconfortable.

— C'est mon tour, s'avança-t-elle, pleine d'assurance.

Horton porta la main à sa matraque, tandis que le capitaine riait de bon cœur, mais sans baisser la garde. Les deux soldats s'empressèrent de quitter la cellule et de bloquer la serrure derrière eux.

— Vous ne voulez pas m'interroger, moi aussi ? tenta la captive, les mains agrippées aux barreaux.

— Tu m'as l'air bien enthousiaste pour une personne dans ta situation, estima Dubrov avec un sourire en coin.

— Autant en finir au plus vite, j'aime pas faire traîner les corvées.

La maligne cherchait un moyen de quitter sa cellule, cependant le gradé n'était pas dupe. Il ne savait pas ce qu'elle comptait accomplir une fois dehors, sous la surveillance rapprochée de trois hommes armés, mais il ne comptait pas lui laisser l'occasion de révéler son jeu si vite.

— Tu te donnes trop d'importance, la rembarra-t-il, moqueur. J'ai bien compris que t'étais qu'une insignifiante passagère clandestine. J'ai pas la moindre envie d'en savoir plus sur toi, alors tu peux rester sagement dans ta cellule le temps qu'on finisse la fouille du Stockholm.

— J'en sais certainement plus que vous ne l'imaginez... défia la captive, l'œil verrouillé sur son opposant.

Le duel de regards s'étendit sur plusieurs secondes denses. Ils se jaugèrent, se mesurèrent, s'évaluèrent. Aucun des adversaires n'était prêt à fléchir.

— Bien tenté, déclina enfin Dubrov avant de s'éloigner avec un ricanement dédaigneux.

Il n'avait pas mordu à l'hameçon, la partie n'en était que remise. En quittant la pièce, le gradé éteignit la lumière – par automatisme, non par égard pour son prisonnier photosensible.

Ellie se tourna vers Seth, dont le visage s'enfouissait à l'intérieur d'une couverture élimée. Il eut un sursaut quand elle approcha la main pour toucher le bandeau qu'on avait abaissé et resserré autour de son cou. En réponse, elle eut un mouvement de recul elle aussi. Ce nœud tout contre la gorge du prisonnier lui rappelait une souffrance exquise tout droit sortie de son passé, une souffrance à laquelle elle s'était jurée de ne plus céder.

Prenant sur elle, elle délia l'étoffe avec des gestes précis, luttant contre une envie pernicieuse de serrer plus fort. Ici et maintenant, elle se sentait plus prédatrice que le géant griffu à ses côtés.

Une fois libéré, Seth porta la main à son cou endolori et se redressa en position assise. En face de lui, Ellie triturait le bandeau entre ses mains. Il la voyait clairement dans la pénombre de la pièce. Quant à elle, pour la première fois, elle croisait ce regard blanc qu'elle avait traqué pendant des mois.

Ils se dévisagèrent en silence durant un long moment suspendu.

— Tu es... né comme ça ? finit par demander la jeune femme, prudente mais pas effrayée.

— Oui, confirma Seth.

— Ils t'appellent l'albinos.

— Je sais. Mes yeux les intéressent beaucoup. Beaucoup d'expériences...

Ellie se mordit la lèvre, ça l'enrageait d'imaginer ce que les scientifiques avaient pu faire subir à ce cobaye non consentant.

— Ce ne sont pas leurs expériences qui ont fait de toi ce que tu es alors ?

— Non.

— Tu es né...

— Pas sur Terre, compléta-t-il en pressentant la question.

— Et pas non plus dans les colonies, n'est-ce pas ?

Il se contenta d'un balancement de tête négatif. Bien que l'hypothèse ait effleuré l'esprit de tous les occupants de Stockholm dès le départ, ils l'avaient toujours reléguée à la place des idées farfelues – davantage par refus de considérer la chose sérieusement que par manque d'indices allant en ce sens.

L'esprit d'Ellie se lovait en douceur autour du mot qui la chatouillait sans arriver à s'en faire accepter complètement.

C'était un...

Ses pensées cherchaient encore à se raccrocher aux lambeaux des suppositions invalidées, alors même que la vérité éclatante l'aveuglait.

C'était...

Sa logique avait préféré se prélasser dans des mensonges rassurants plutôt que d'admettre qu'il pouvait être...

Qu'il était...

Un Alien.

— Tu n'es pas humain, formula-t-elle afin de rendre l'annonce plus concrète pour elle-même.

— Ça se voit tant que ça ? ironisa Seth en esquissant son tout premier sourire.

Elle était en train d'observer un alien sourire, le vaisseau tanguait sur des vagues de confusion imaginaires.

— Comment c'est possible ? s'égara-t-elle dans son regard blanc galactique.

— Comment quoi est possible ?

— Toi, répondit-elle, hypnotisée. On n'a pas trouvé de trace de vie intelligente malgré la quantité astronomique de systèmes stellaires explorés.

— Oh si, vos soldats ont trouvé, eux. Il y a dix ans...

L'ADICT aurait établi le premier contact avec un peuple extraterrestre dix ans plus tôt, sans que personne n'en soit informé ? Voilà qui coïncidait étrangement avec l'âge sombre de la colonisation ; les budgets avaient été réduits, les autorisations de circuler limitées, les colons encouragés à rentrer au bercail... La découverte d'une civilisation étrangère avait-elle mis un coup d'accélérateur à la chute déjà engagée de l'ère spatiale ?

— Si tu es là, j'imagine que le premier contact ne s'est pas très bien passé, supposa Ellie.

— C'est la guerre, assena Seth.

— La guerre entre nous depuis dix ans ?

— Je ne sais pas ce qui s'est passé les cinq dernières années, avoua-t-il en avançant pour preuve le tatouage sur son poignet.

— Tu es un prisonnier de guerre... et tu veux rentrer chez toi.

Un temps de silence fut nécessaire à l'assimilation des dernières données. Ainsi, le capitaine Dubrov était parfaitement au courant de la valeur de Seth ; pas étonnant qu'il soit prêt à perdre plusieurs jours pour s'assurer qu'aucun autre alien ne se cache à bord du Stockholm. Cette prise avait sans doute de quoi lui valoir une jolie médaille à accrocher sur sa veste.

Ellie rendit le bandeau à son camarade de cellule, sa curiosité avait été satisfaite et elle se sentait apaisée. Maintenant, elle pouvait se concentrer sur un moyen de les faire sortir de là. 


——————————


Vous aviez plus ou moins tout compris à ce stade, mais au moins l'histoire de Seth est enfin mise au clair maintenant. Et Ellie lance des appâts. Qui mordra le premier ? Luc ? Dubrov ?

(Je vous préviens à l'avance, la semaine prochaine il y aura deux nouveaux chapitres, lundi et mercredi ^^)


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