Stockholm

By Ellzace

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[SF~romance~morally grey] Un vaisseau, deux passagers clandestins, dix mois pour prendre le contrôle. Qui de... More

0 - Prologue + Bande-annonce
1 - Kourou (1/2)
2 - Kourou (2/2)
3 - Enfermement
5 - Premier contact
6 - Un quatrième passager
7 - A bout de souffle
8 - Dessine-moi un mouton
9 - Numéro 7
10 - Les dessins de la colère
11 - Chaos
12 - Des lions en cage
13 - Jeu de lumière
14 - Cachotteries
15 - Le seul maître à bord
16 - Œil pour œil
17 - Retrouvailles
18 - Promiscuité
19 - Souffler le chaud et le froid
20 - Let's rock
21 - Poignée de main
22 - Meilleurs ennemis
23 - L'ennemi de mon ennemi
24 - Choisir un camp
25 - Promenade de santé
26 - Froideur
27 - La chute d'un héros
28 - Captif (1/2)
29 - Captif (2/2)
30 - Doux comme un agneau
31 - Les portes du pénitencier
32 - Bon appétit
33 - Ferme les yeux
34 - Gestes invasifs
35 - Chacun ses secrets
36 - Planète de malheur
37 - Les sirènes de la colère
38 - Détention
39 - Vérité aveuglante
40 - Le cœur ou la raison
41 - Négociations
42 - Se rendre utile
43 - Coup fourré
44 - Panser ses plaies
45 - Dans les intestins du Stockholm (1/2)
46 - Dans les intestins du Stockholm (2/2)
47 - A l'embranchement des voies
48 - Tromper la solitude
49 - La gardienne de ses nuits
50 - La fin d'une parenthèse

4 - Capitaine Falco

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By Ellzace

Au fond du hangar, Barkha surveillait deux de ses hommes qui peinaient à ouvrir les grandes portes rouillées ; l'humidité de la région n'éprouvait aucune pitié pour le matériel. Néanmoins, une fois l'accès dégagé, le panorama en valait assurément la peine.

A une centaine de mètres, au cœur d'un vaste terrain vague, la silhouette impressionnante du Stockholm se détachait de l'arrière-plan de verdure offert par la forêt amazonienne naissante. Cela faisait déjà trois jours que l'ombre du géant s'étalait sur l'horizon, le chargement d'un tel monstre représentait un travail de titan.

Toutes soutes ouvertes, le vaisseau libéra deux hommes équipés de transpalettes qui prirent la direction du hangar. Barkha les accueillit à l'intérieur ; il semblait familier avec le plus âgé des manutentionnaires et le salua d'une tape cordiale dans le dos.

— Ah, le capitaine Falco daigne enfin se montrer. Ça fait un bail que je t'ai pas vu sous nos latitudes !

Rémi Falco, cinquante-quatre ans, le front légèrement dégarni mais la carrure d'un homme rompu aux travaux physiques, abandonna son transpalette près d'un conteneur et tourna une mine gaillarde vers son vieil ami.

— C'est vrai que ça faisait un bail, Barkha ! Avec la diminution du transport de fret, j'ai été obligé d'accepter des missions pour des planètes plus lointaines, sinon ma femme allait être obligée de réduire son train de vie !

Les deux hommes partagèrent un grand rire gouailleur.

— J'imagine que la paie en vaut le coup, supputa Barkha. Mais Chimaera quand même, t'en as pour près de deux ans avant d'être de retour !

— Qu'est-ce que tu veux, c'est plus ce que c'était le métier de mécano, on est devenus des concierges plus qu'autre chose maintenant. Faut ce qui faut pour faire bouillir la marmite.

Sous ses airs impassibles, l'homme faisait taire la petite voix nostalgique qui murmurait encore à son oreille. Avant, durant l'âge d'or des voyages spatiaux, les mécaniciens comme lui jouissaient d'un statut de professionnels tenus en haute estime – dont on se disputait les talents à coups de salaires faramineux et d'avantages variés. C'était un temps où Falco pensait exercer le plus beau des métiers. Et il avait raison, sillonner l'espace à bord des plus prestigieux navires tout en entretenant leur belle mécanique avait de quoi faire rêver toute une génération d'étudiants en formation. Mais cet essor que tout le monde prédisait exponentiel n'avait pas tenu ses promesses.

Quand l'attrait pour la colonisation s'était tari et qu'une partie de la flotte – trop coûteuse d'entretien – avait été laissée à l'abandon, nombre de jeunes mécaniciens s'étaient reconvertis dans d'autres domaines plus demandeurs de main d'œuvre. Pour les plus têtus et ceux qui s'estimaient trop âgés pour changer de voie, comme Rémi Falco, il ne restait plus beaucoup de postes intéressants à pourvoir. Il était fini le temps des vols commerciaux et des navires de croisière, l'espace était dorénavant fréquenté en majorité par de vieux cargos transportant bêtement de la marchandise d'un point A à un point B.

En guise de cerise sur un gâteau devenu rance, on ne se donnait même plus la peine d'affecter un équipage humain à ces gros tas de ferraille, une simple IA de bord et une fonction de pilotage automatique suffisaient amplement à mener un navire à bon port. La seule chose qui n'était pas remplaçable restait l'expertise et les mains indispensables d'un mécanicien pour bricoler les entrailles du vaisseau en cas de panne. En complément, on leur demandait parfois d'assurer la survie de quelques têtes de bétail à destination de l'une ou l'autre colonie, ce qui serait le cas lors de cette traversée à bord du Stockholm. De mécanicien à garçon de ferme, il n'y avait qu'un pas dans l'espace, aussi aberrant cela soit-il.

— Je vois que t'as de la compagnie au moins pour ce long voyage, nota Barkha en observant de loin le blondinet qui accompagnait Falco et qui transpirait à grosses gouttes en chargeant son transpalette.

— Ouais, c'est Luc, le neveu de ma femme. Je l'ai pris comme apprenti pour cette mission, ça lui permettra de payer ses études à son retour.

— Il doit être sacrément motivé le jeunot pour s'infliger un tel job ! Tu préfères pas que je lui trouve un petit boulot ici, sur le marché ?

— Non laisse-le tranquille, je voudrais pas qu'il finisse en prison à tremper dans tes magouilles, refusa Falco avec un œil paternaliste posé sur son neveu, tandis que celui-ci se donnait du mal pour déplacer des caisses trop lourdes pour lui.

— Comme tu veux, céda Barkha. Mais tu as conscience que vous risquez de faire le trajet pour rien ? L'ADICT a annoncé que tout le secteur de Chimaera était dorénavant interdit à la population civile.

L'Armée de Défense Internationale des Colonies Terriennes était le résultat de la première collaboration – étonnamment fructueuse – unissant près d'une centaine de nations tournées vers un objectif commun : assurer la sécurité des Hommes au-delà des limites de la planète-mère. Bien qu'ayant été mise en place dès les débuts de la colonisation, les habitants de la Terre n'entendaient que rarement parler de cette organisation militaire ; les soldats de l'ADICT n'intervenaient que sur les quelques planètes vassales qu'ils avaient à charge de protéger et remplissaient un rôle que l'on aurait pu qualifier de douaniers de l'espace, veillant à une circulation pacifique des personnes et des marchandises entre les colonies.

— Les autorités ont validé mon autorisation de circulation ce matin même, assura Falco. Je m'inquiète pas. En plus, j'ai un joli petit tampon qui certifie que je livre de l'aide humanitaire, ils vont pas m'empêcher de passer et laisser ces malheureux colons crever de faim quand même.

— Je te souhaite qu'il y ait pas de sable dans les rouages et que ça se passe comme prévu. Et à ton retour on prendra le temps de se faire une bouffe ensemble, proposa Barkha, jovial.

— Promis vieux, on fera ça dans deux ans.

— En attendant, j'ai détourné une caisse de whisky distillé et vieilli sur Gallen Tith, une petite merveille. On pourrait s'en ouvrir une dans mon bureau pendant que ton neveu et mes gars finissent de charger la marchandise, qu'est-ce que t'en penses ?

Falco approuva, bien content de déléguer la tâche pour une fois.

Tandis que les deux hommes s'éloignaient vers un local attenant au hangar, un employé de Barkha l'interpella avec un tremblement nerveux dans la voix.

— Dites patron, y'a des animaux dans cette boîte ? questionna-t-il en désignant, à ses pieds, une caisse en bois dont les dimensions rappelaient celles d'un cercueil.

— Le bétail est dehors, vous le chargerez en dernier, s'agaça Barkha.

— Mais je crois que j'ai entendu grogner quand je l'ai faite tomber...

Le regard foudroyant qui fit frissonner l'employé jusqu'aux tréfonds de son être dissuada ce dernier d'ajouter un mot de plus.

Falco réprima un sourire, il avait toujours admiré la poigne de son vieil ami. Lui emboîtant le pas en direction du bureau et de l'armoire à whisky, il jeta un dernier coup d'œil en direction de son neveu occupé à traîner de toutes ses forces un transpalette récalcitrant. Le système d'allègement automatique des charges était encore tombé en panne, cette vieillerie refusait obstinément de fonctionner plus de deux heures d'affilée malgré les nombreuses tentatives de réparation.

Ce n'était pas bien grave, du haut de ses dix-huit ans Luc bénéficiait encore de la fougue de la jeunesse et ça ne lui ferait pas de mal de muscler un peu son corps de lycéen mollasson. Falco se promit de faire du garçon un homme pendant leur longue traversée de l'espace. Après tout, les voyages forment la jeunesse, non ? Certes, la diversité des paysages et des rencontres laisserait un peu à désirer, mais il n'y a rien de tel que l'isolement pour révéler ce que l'on a vraiment au fond de soi, ça Falco le savait très bien ; trop bien, peut-être.


⭐⭐⭐


Le temps est un concept fluctuant, et la notion que l'on peut en avoir se joue de nos perceptions bassement organiques. Ellie avait perdu tous ses repères familiers dans la caisse de bois qui la retenait prisonnière depuis... depuis...

Elle avait mal partout, de ça elle n'en doutait pas. A chaque fois qu'elle essayait de se tortiller entre les sachets de ration, elle se cognait à la paroi et finissait dans une position plus inconfortable encore. Elle avait bien tenté de dormir pour oublier son calvaire mais ses articulations et ses muscles endoloris la ramenaient sans cesse à ce cauchemar éveillé.

Avec la douleur en toile de fond, ses pensées ne faisaient que divaguer sans réel fil directeur, à mi-chemin entre la veille et l'inconscience. Parfois, elle se prenait pourtant à craindre la fin de cet état de léthargie chimérique qui l'obligerait à affronter les conséquences de ses choix, d'autres fois elle n'était même plus sûre que ses réflexions et ses questionnements soient véritablement les siens. Cet état de latence, entre anticipation et sensation de ne plus exister en dehors du tourbillon de son esprit confiné, lui rappela un vieux souvenir de cours de sciences physiques : le chat de Schrödinger.

C'était ça, elle se sentait comme le chat de Schrödinger, enfermé dans sa boîte et qui resterait dans deux états superposés aussi longtemps qu'on ne l'ouvrirait pas. Elle rit à cette réflexion absurde, il fallait qu'on la sorte de là avant qu'elle ne perde totalement prise avec la réalité. Son esprit délirant avait besoin de retrouver la sécurité d'un monde concret sur lequel il pouvait exercer un minimum de contrôle.

Un semblant d'espoir l'aida à refaire surface lorsque des voix parvinrent à ses oreilles ; de vraies voix humaines, pas celles qui cherchaient à lui embrouiller les idées. Elle serra les dents quand on déplaça sa caisse sans ménagement avant de la reposer sur la tranche. Toutes les rations de survie basculèrent sur elle et le cirque pour s'arranger un emplacement tolérable dans cette nouvelle configuration recommença. Cette activité eut le mérite de l'occuper un bon quart d'heure, peut-être davantage. Quelqu'un aurait au moins pu se donner la peine de coller une étiquette Fragile sur sa caisse...

Le silence et l'obscurité reprirent ensuite leur place pour une durée indéterminable. Selon toute vraisemblance, la passagère clandestine se trouvait à présent dans la soute d'un vaisseau, restait à espérer qu'il s'agisse du bon.

Lorsque son estomac finit par se manifester, elle déchira une ration de survie pour goûter à la pâte peu appétissante que celle-ci renfermait mais elle fut incapable d'en déterminer la saveur. Peut-être que si elle avait été en mesure de lire ce qu'indiquait l'emballage, elle aurait réussi à tromper ses sens en s'auto-convainquant qu'elle mangeait une purée d'amandes ou de poulet mais, en l'absence d'indices, cette mixture insipide ne lui évoquait absolument rien d'identifiable. Plissant le nez de dégoût, elle se força à avaler cette unique bouchée amère avant d'abandonner, elle préférait encore se laisser bercer par le son des grognements de son estomac.

Si elle ne risquait certes pas de mourir de faim, elle n'échapperait en revanche peut-être pas à une sévère dépression gustative. A vrai dire elle mourrait de déshydratation bien avant cela : elle n'avait emporté dans son sac à dos qu'une seule gourde – probablement le dernier litre d'eau terrienne qu'elle boirait jamais, et ce quelle que soit l'issue de son périple insensé. Mais avant cela encore, d'autres besoins primaires se rappelleraient à elle... Elle ne supporterait plus cet enfermement bien longtemps.

Enfin, un grondement sourd assorti d'une vibration profonde se fit entendre. Ce bruit blanc réconforta Ellie au-delà de ses espérances et fit palpiter son cœur d'excitation. Le vaisseau à bord duquel elle se trouvait venait de démarrer ses moteurs.

La jeune femme ne savait pas trop à quoi s'attendre, elle n'avait jamais quitté la surface de la Terre et aurait préféré vivre cette expérience ceinturée sur un siège confortable, mais elle se contenterait des conditions particulières qui étaient les siennes. Elle ne décela pas l'instant où l'énorme tas de ferraille s'arracha au sol, il n'y eut ni mouvement brusque ni poussée extraordinaire, seul le vrombissement de plus en plus assourdissant des moteurs témoignait de l'effort colossal qui était demandé au vaisseau.

Puis, juste quand Ellie s'imagina que cette échappée à l'attraction terrestre n'était finalement qu'une promenade de santé, un haut-le-cœur manqua de lui faire rendre la pâte nutritive qu'elle avait avalée plus tôt. Son estomac se mit à faire des loopings, à moins que ce ne soit son cœur, ou bien les deux en même temps. Elle sentit un poids invisible l'écraser dans le fond de sa caisse et des gouttes de sueur froide perler sur son front. Elle peinait à respirer tant ses poumons étaient comprimés. Elle ne savait pas combien de temps elle parviendrait à supporter ce traitement brutal.

Soudain, il y eut un bruit sec, comme le claquement d'une sangle qui venait de céder, et Ellie se sentit glisser à une vitesse vertigineuse. Sa caisse fut emportée à travers la soute jusqu'à ce que sa course soit stoppée net par un alignement de conteneurs. Sous la force de l'impact, la tête de la voyageuse clandestine heurta la paroi rigide. Ellie palpa une matière poisseuse au niveau de sa tempe, s'il n'avait pas fait si noir elle aurait constaté que sa vision commençait à se brouiller. Mais ce dont elle était certaine juste avant de perdre connaissance, c'est qu'elle avait entendu un râle rauque résonner derrière la paroi de bois, tout près d'elle...



——————————


Oups, j'ai oublié de donner les consignes de sécurité avant le décollage : 

Please, fasten your seatbelt. Assurez-vous d'avoir correctement sanglé votre caisse de transport avant le départ. En cas de dépressurisation de l'appareil, veuillez suivre la lumière blanche au bout du tunnel... Bon vol !



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