Chapitre 29 - Déchirements (Partie 1)

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Un peu avant midi, une ombre au travers de l'immense baie vitrée capta l'attention des Auroréens : un vaisseau de forme oblongue atterrissait à la verticale. Flore et Tojian se levèrent aussi, mais continuèrent à garder leur distance avec les futurs exilés.

Une passerelle en verre se déploya depuis la salle d'embarquement. Dès qu'elle se colla à l'aéronef, les portes s'ouvrirent de part et d'autre, et deux jeunes gens sortirent de l'appareil d'un pas déterminé. Sans appréhender le vide sous leurs pieds.

Ils doivent voyager souvent, jugea la princesse, qui les scrutait.

Le contraste entre eux la surprit : cheveux blonds, courts et disciplinés pour l'un ; noir et en bataille, bas sur la nuque chez le second. Pourtant, ils exposaient le même teint clair et des traits fins semblables, reflétant des personnalités fortes.

Des hommes habitués à commander, sans être hautains, estima-t-elle.

Au contraire, leur visage demeurait avenant. Son regard glissa ensuite sur les habits identiques, composés d'une veste brune par-dessus une chemise crème et d'un pantalon marron, avant de s'arrêter sur le motif brodé sur la manche droite. Une comète dorée sur fond bleu roi : l'emblème de Dalghar.

Voir ce symbole de la paix soulagea Flore, plus qu'elle ne l'aurait cru. Certainement parce qu'elle se sentait en sécurité avec eux. En revanche, les Auroréens reculèrent devant les nouveaux arrivants, effrayés par le blond. Ce qui amena une remarque amusée de son compagnon :

— Kris, je crois qu'ils te confondent avec un Astrydien. Je suis là, heureusement !

— D'après toi, pourquoi ai-je accepté ta présence ? Alors que tu ne prends jamais rien au sérieux.

— Que veux-tu, on ne se refait pas !

Le blond s'abstint de répondre, mais un bref sourire en coin étira ses lèvres.

Dès les premiers mots de cet échange, qui dévoilait la complicité des deux hommes, Flore s'étonna de comprendre. Tojian lui signala alors le mince bandeau noir autour du cou, dont le disque illuminé reproduisait la voix et les intonations de son hôte, avec fidélité, en langue auroréenne. Un traducteur.

— Nous sommes des Dalghariens et vous emmenons sur notre monde, déclara le brun avec chaleur. Vous êtes les derniers à embarquer. Je me nomme Brian et voici mon frère aîné, Kris. Observez ses yeux. Ils sont bleus et non jaunes, cerclés de rouge.

Exact, constata la princesse, cela devrait les rassurer.

Les Auroréens remercièrent en effet le jeune homme aux cheveux foncés et, craintifs, le suivirent vers une des passerelles tandis que le blond circulait au milieu d'eux avec des paroles encourageantes.

Néanmoins, plusieurs changèrent d'avis et se rassemblèrent près de l'entrée de la salle d'embarquement, sous le regard désolé du Dalgharien. Quand il s'approcha de Flore, qui était demeurée à l'écart avec Tojian, elle le vit froncer les sourcils. Quelque chose le dérangeait. Quoi ?

Les capes, se rendit-elle compte soudain.

Ils continuaient à se dissimuler dessous, au contraire des autres Auroréens. Afin de ne pas se faire remarquer, elle repoussa sa capuche sur ses épaules. Son cousin l'imita.

— Rejoignez-nous, les informa le dénommé Kris. Vous serez traités correctement sur ma planète, je vous le promets.

La princesse secoua la tête sans répondre et se dirigea vers le groupe refusant de s'exiler. Mais, à peine avait-elle avancé, qu'un remue-ménage bruyant attira  son attention : Xénon, entouré de six gardes, venait de surgir. Si elle se statufia à cette vue d'horreur, son cœur s'emballa dans un galop plus rapide que celui d'un okyda.

Le monstre la cherchait !

Comme le démontra un des hommes qui balayait la salle de son bras, les yeux posés sur un bracelet, lorsqu'il pointa un index dans sa direction. Le chef astrydien, suivi de sa troupe, se rua aussitôt vers elle. Son agression verbale fusa pendant que des prunelles ironiques la brûlaient :

— Tu croyais m'échapper ? Tu voulais fuir ta planète ? Quel exemple pour les tiens, je ne te félicite pas !

— Comment m'avez-vous retrouvée ? balbutia-t-elle, après avoir dégluti.

— Grâce au recensement. Nous contrôlons une bonne partie du spatioport, et une alarme est reliée avec le tunnel de sécurité. Et me voilà ! Maintenant, suis-moi sans résister ; sinon, je te punirai.

J'ai fait une erreur, nous aurions dû quitter les lieux plus tôt ! enragea Flore, les poings crispés, les paumes moites.

Quand le prédateur s'avança d'un pas, elle recula d'autant. Xénon poursuivit, tandis que son sourire carnassier s'élargissait et son regard menaçant s'intensifiait. Mais le jeune Dalgharien blond brisa sa marche de conquérant.

— Je vous interdis de l'arrêter, assena-t-il. Votre chef a signé un accord avec nous, qui autorise tout Auroréen à s'exiler s'il le désire. J'insiste sur le tout !

Deux fentes rétrécies se fixèrent sur l'importun, le toisèrent de haut, puis l'ennemi proclama d'une voix cinglante :

— Les ordres, c'est moi, le prince impérial Xénon d'Astrydie, qui les donne et les modifie. Vous ne possédez plus aucun droit ici !

Le blond ne se laissa pas impressionner par l'homme plus grand d'une tête que lui.

— Enchanté, je suis le prince Kris de Dalghar, accompagné de mon frère cadet, Brian. Avec cet ultime voyage, j'ai voulu m'assurer personnellement du respect de notre contrat jusqu'au dernier demandeur d'asile. Une décision qui s'avère judicieuse.

Un silence pesant s'installa.

Les Auroréens se tenaient à une distance prudente, étonnés de voir un étranger prendre la défense de l'une des leurs, tandis que le Dalgharien aux cheveux noirs, Brian, se plaçait à côté de son aîné.

— Un combat vous intéresse ? J'y excelle, suggéra-t-il en montrant son électase non activée.

Qu'allait décider l'envahisseur ? Répliquer à la provocation ? Ou ? Impossible à déterminer, malheureusement.

Xénon jaugeait ses adversaires, sans céder le terrain d'un pouce, et sa troupe serrait la poignée de leurs armes. L'air se chargeait d'électricité chaque seconde, un air qui n'attendait qu'une étincelle pour s'enflammer.

Sept contre deux, ce monstre gagnerait, s'angoissa Flore, alors que les doigts de Tojian tiraient sur sa cape afin de l'éloigner du danger. Au milieu de cette scène surréaliste, qu'une catastrophe menaçait d'ensanglanter, Kris de Dalghar lança :

— D'après vous, comment réagirait la Confédération si mon frère ou moi étions blessés ?

Si le ton employé semblait innocent, les mots ne l'étaient pas. Ils électrocutèrent l'Astrydien qui leva une paume en signe d'apaisement. La tension retomba dès qu'il intima le repos à sa garde. Puis il salua les jeunes hommes avec amabilité et se dirigea en direction de la sortie.

La princesse s'apprêta à remercier Kris, qui s'était retourné vers elle pendant que son cadet s'éloignait. Mais les paroles se coincèrent dans sa gorge, tant un mouvement de l'ennemi la captivait. Un mouvement si hypnotique qu'elle le voyait se dérouler au ralenti : Xénon revenait sur ses pas, tout en dégainant un pistolet. Et le regard de l'Astrydien l'emprisonna encore plus lorsqu'il accrocha le sien. Elle y lisait l'orgueil bafoué par la fuite de sa proie.

Un affront que seule la mort pourrait laver !

Malgré l'alarme qui sonnait dans sa tête, qui lui criait de s'enfuir, Flore demeura pétrifiée face à l'extrémité rougeoyante de l'arme.

Trop tard ! confia-t-elle à son esprit.

Lucide, la princesse accueillit son destin fatal, sans peur, avec une dernière pensée pour Sojeyn, Ixli et ses amis.

Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant