Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020

Chapitre 6 - La bibliothèque secrète (Partie 3)

Je contemple la place par la fenêtre de la salle de réception, à la fois heureuse et inquiète. Heureuse, pour la nouvelle ère qui commence. Inquiète, comment réagira Lorin ?

— Majesté, c'est l'heure, m'informe un serviteur, la tête baissée.

Pour lui, à l'instar de toute la population, je suis devenue une légende. Elle sera contée au coin du feu, alors que mon frère sombrera dans l'oubli le plus total. Un rejet qu'il ne mérite pas. Son point de vue sur l'avenir d'Aurora devrait être considéré, cependant le Conseil en a décidé autrement.

Je chasse mes pensées, mes doutes, mes interrogations, avant de rejoindre les doryaumis et les uriahmis devant le hall principal du palais. Le soleil brille au zénith sans nous incommoder.

Nous sommes habillés de longues tuniques blanches, aux manches évasées, vierges de fioritures. La décoration de notre vêtement se résume à la fleur de chaque doryaum, que nous tenons entre nos doigts. Même nos cheveux sont attachés de manière sobre.

Je descends deux ou trois marches, sous le regard de mon peuple. Où qu'il soit. Ici, sur cette place, ou chez lui, sur la planète, à l'aide d'un comurion.

— Auroréens, Auroréennes. Depuis l'époque de la légende des Perles, nos pouvoirs psychiques, les kiriahs, se sont développés. Ils apportaient le bien, la paix et le bonheur. Grâce à eux, nous n'avons jamais été menacés. Mais leurs limites furent constamment repoussées, et seuls comptaient nos désirs, notre égoïsme, notre soif de pouvoir. Nous avions abandonné le bien-être de tous et de notre monde. Aurora était entré dans les siècles de la Décadence et un voile de ténèbres avait enseveli nos cœurs. Il y a peu, certains d'entre nous ont ouvert les yeux devant cette tristesse, cette violence, ces injustices. Ils ont arraché le carcan qui les étouffait, trouvé le courage tout au fond d'eux et accueilli la lumière. Face à elle, nous avons enfin reconnu nos erreurs. Face à elle, nous avons décidé de grandir. Face à elle, nous avons réussi à couper le lien avec les pratiques de l'ombre. Le Conseil a alors adopté des lois afin d'empêcher de telles horreurs de se reproduire. Ces règles, vous les connaissez déjà.

Je m'accorde une pause, observe l'assemblée. Pendue à mes lèvres, elle attend les paroles suivantes, celles qui changeront le cours de l'Histoire.

À jamais.

— En ce jour de la Moisson, nous sommes réunis pour une nouvelle ère de prospérité et de sagesse. Devant vous tous, accompagnée des doryaumis et uriahmis, je vous demande de prêter serment avec moi sur les quatre Principes des kiriahs.

Je sens une allégresse monter de la foule lorsque nous les prononçons. À chaque mot, une chaîne de plus se dissout jusqu'à la libération absolue de nos cœurs, nos esprits et nos corps. Des Auroréens se prennent la main. Ils pleurent, étreints par l'émotion. Quand le silence se fait, celui-ci dure un long moment, chacun en communion dans cet instant solennel.

Puis une clameur explose : le cri du bonheur retrouvé. Elle gagne en puissance tandis que des pétales colorés sont lancés avec joie. La fête avait commencé. Étrangement en paix, je souris à mon compagnon de vie Louno, l'uriahmi royal. Il me serre dans ses bras et me gratifie d'un baiser passionné. Nos perles virent au blanc étincelant. Les témoins nous applaudissent.

Sojeyn s'interrompit, un regard perplexe posé sur sa sœur.

— Ils se touchaient ? Ils se donnaient la main ? Ils « se gratifiaient d'un baiser passionné » ? Je ne sais pas ce que c'est. Et toi ?

— Aucune idée ! Tout cet aspect est devenu tabou de nos jours. De plus, un uriahmi ne serait pas autorisé à vivre avec un roi ou une reine pour éviter de concentrer les pouvoirs dans une famille, au détriment des autres, et de retomber dans les siècles de la Décadence.