Chapitre 27 - Coup de folie (Partie 1)

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— Sojeyn, réveille-toi ! répéta Flore.

Son frère souleva les paupières et se redressa, le regard désespéré, les bras devant lui dans un geste d'attaque.

— Tu es à l'abri chez les Imlayas, le rassura-t-elle d'une voix douce.

Comme s'il mettait sa parole en doute, il scruta la pièce : une simple chambre dans une des maisons du village. Même s'il n'était jamais venu, elle lui en avait tant parlé, qu'il dût la reconnaître, car il retrouva une attitude sereine.

— Vous êtes parvenus à me téléporter ! D'où le voile blanc que j'ai vu quand je me suis évanoui, j'étais trop fatigué pour le comprendre. Raconte-moi comment vous avez réussi sur une telle distance et en présence des brouilleurs de ces monstres.

— Le temps pressait, je ne pouvais pas te prévenir. Tu as oublié l'habitation dans Auralia que nous avons achetée. Au moment où je t'ai contacté, nous étions au village et espérions que tu te cacherais. Il nous a fallu d'abord installer un Cercle complet dans le logement, le laisser reprendre des forces. Plus qu'à l'habitude, d'ailleurs. Ensuite, une fois qu'on t'a ramené avec nos parents, nous avons encore patienté avant de revenir ici et vous avons soigné. Tu as mentionné des brouilleurs, qu'est-ce ?

— Ils bloquent nos pouvoirs psychiques, l'éclaira-t-il, d'un ton dans lequel perçait l'amertume. Ceci explique pourquoi les kiriahnis ont dépensé autant d'énergie. Xénon, le chef, a poussé le vice jusque dans la symbolique. Ils ont la forme de nos sphères, incrustée de flammes jaune et rouge, couleurs de ces Astrydiens, dévorant le bleu de notre peau ! Le palais est tombé entre leurs mains et d'ici peu, ils auront investi la planète.

En quelques mots, il rapporta le but de l'envahisseur, lui relata tout ce qui s'était passé. À ses yeux tristes, Flore se douta qu'il lui dissimulait ses pensées sur la fin du duel. Sa réaction au moment de son réveil lui suffisait.

Il a dû se voir mourir et se l'imaginer lorsqu'on l'a téléporté, supposa-t-elle, frissonnante.

— Il gardera notre peuple en vie, enchaîna-t-elle pour ne pas s'appesantir sur cette idée morbide. Nous établirons une résistance à l'abri de l'ennemi.

— Je me demande si au lieu d'avoir enrayé la vision, nous ne l'avons pas provoqué, murmura son frère.

Cette réflexion lui donna un coup dans le ventre : elle aussi y avait songé dès qu'Ixli l'avait alerté. Si Sojeyn, par exemple, n'avait pas reçu son diadème avec un an d'avance, ils auraient eu le temps de monter une défense digne de ce nom. Peut-être... ou pas.

— Nous ne le saurons jamais, et il nous faudra avancer avec cela, soupira-t-elle.

— Pourquoi a-t-elle disparu quand même ? insista l'adolescent.

— Tu l'avais dit lors du ralliement des Imlayas à notre cause : nous étions sur le bon chemin. Hélas, le changement d'avis de notre père a ravivé cet avenir. Inutile de nous torturer, ce qui est fait est fait !

— Au moins, nos parents et moi sommes sauvés, ta prémonition nous a servi sur ce point.

Le cœur de la princesse se contracta. Son silence qui persistait amena un regard intrigué de son frère sur elle, puis il secoua la tête, ses prunelles virant au mauve soutenu. Il avait compris, mais espérait un démenti.

La boule dans sa gorge grossit à chaque mot qu'elle souffla :

— Pour te soigner, nous t'avons gardé dans l'Entre-Deux monde pendant trois jours. Tu es guéri, car tu étais moins blessé qu'eux. Ces monstres empoisonnent leurs électases, celle que tu as ramenée nous l'a confirmé. Notre mère gît déjà aux portes du monde des Morts, inaccessible, et père a accepté les potions juste le temps que tu récupères. Viens.


Quand elle gagna la salle du Conseil, Flore s'installa avec Sojeyn auprès de leurs parents sur un des deux lits côte à côte. Les Imlayas et les kiriahnis, réconciliés, les entouraient ; Ixli se tenant entre Courm et Natti au pied de la couche. Les larmes coulaient sur les visages, les cheveux brillaient de mille reflets sombres, que personne ne cherchait à dissimuler. La pudeur avait disparu.

À demi allongé, Altar serrait Katja contre lui, la tête de celle-ci posée sur son épaule. La princesse accepta le couteau de la souffrance dans sa chair, tant il ne la lacérerait pas plus que la mort qui emportait le couple royal dans son monde.

D'une voix enrouée, elle supplia son père une dernière fois :

— Permettez-nous de vous sauver ! Les guérisseurs le peuvent, voyez Sojeyn.

— Cela ne retarderait que l'inévitable, confia-t-il avec un demi-sourire.

Du bout de son pouce, il essuya une perle qui roulait sur la joue de Flore, avant d'ajouter :

— Le Lien est indestructible, il m'entraînera dans quelques années. Tu le sais.

— Chacune d'entre elles nous aidera, vous avez tant à nous apprendre ! s'écria son frère, désespéré.

— Ta mère et moi connaissions notre destin par la vision. Je t'ai transmis mon expérience, la bibliothèque secrète t'apportera le reste. Tous les deux, vous vous battez depuis un an pour notre peuple, vous êtes prêts à le guider. Laissez-moi partir avec les souvenirs d'une planète libre.

La princesse échangea un regard torturé avec Sojeyn, puis ils acquiescèrent. Altar respira profondément, le visage détendu ; les potions des kiriahnis endormant les douleurs causées par le poison de l'épée. Enfin, il proclama :

— Mes amis, je vous remercie d'avoir cru à la prémonition de ma fille. Grâce à vous, mes enfants sont sauvés, mais votre lutte ne fait que commencer. Imlayas et Auroréens saisissez-vous du flambeau de la résistance ! Ensemble, vous chasserez l'ennemi.

Dès que tous eurent juré, avec un salut empreint d'un grand respect, son père s'adressa à Sojeyn d'une voix si faible qu'ils se penchèrent pour l'entendre.

— La charge est lourde sur tes épaules, mon fils. Pourtant, tu y arriveras. J'en suis persuadé. Quant à moi, une erreur me hante... J'aurais dû t'écouter et continuer la procédure de demande d'adhésion... J'aurais dû l'écouter, elle avait raison.

Le prince leva des yeux interrogateurs vers Flore, qui secoua la tête en signe d'ignorance.

— Pourquoi avez-vous arrêté ? De qui parlez-vous ? s'enquit-il.

— Parce que... les guérisseurs n'ont pas terminé tes soins... sinon tu saurais pourquoi. J'espère qu'un jour tu me pardonneras.

— Je n'ai rien à vous pardonner ! s'exclama son frère, les poings serrés. Vous avez agi suivant votre conscience, au mieux pour notre peuple. Personne n'osera vous le reprocher.

La réaction véhémente de l'adolescent amena un sourire sur les lèvres pâles d'Altar, effaçant ses traits tirés. Il inspira, comme s'il puisait ses dernières forces au plus profond de lui, avant de souffler d'un ton ferme :

— Retrouve-la, Sojeyn ! Elle t'a sauvé de la mort, elle représente ton avenir, et ne lui ferme surtout pas ton cœur. Flore, ne t'interdis pas de vivre non plus, malgré cette terrible guerre. Merci à vous deux pour les merveilleux moments partagés, les plus beaux de ma vie avec ma compagne.

De nouveau, la princesse croisa le regard d'incompréhension de son frère. Que signifiaient ces paroles sibyllines ? À moins que leur père délirât ?

Celui-ci posa ses lèvres sur celles de Katja longuement, un geste inconnu à l'assemblée stupéfaite, tandis que sa perle éclatait d'un blanc lumineux. Puis, tête contre tête, il baissa les paupières et serra les mains de leur mère au creux des siennes.

— Adieu, chuchota la princesse, le visage ravagé par ses pleurs, le cœur en lambeaux. Nous nous reverrons dans le monde des Morts.

Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant