Chapitre 22 - L'Initiation (Partie 4)

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Une explosion soudaine de cris stridents figea Flore en une statue d'argile, lui déchira les oreilles. Si son esprit lui hurlait de fuir, les créatures l'en empêchaient. Ils semblaient avoir le pouvoir de la paralyser, un pouvoir contre lequel elle ne parvenait pas à s'extirper. Il l'enlisait mieux que des sables mouvants.

Je vais servir de repas !

Même ces mots mortels n'eurent aucun effet. Elle s'imagina perdue, dévorée dans d'horribles souffrances, abandonnée de Kilyan. Malgré les suppliques qu'elle lui adressait.

Ce furent pourtant ses réflexes qui la secouèrent et non ses prières. Son okyda, pris de folie par ces sons insoutenables, s'était mis à ruer, et ses doigts avaient resserré les rênes. Flore comprit enfin que seule sa peur était à l'origine de son immobilisme.

Pour la repousser, elle se concentra sur sa monture, qu'elle obligea à lui obéir d'une main ferme. Après quelques instants de lutte, l'animal dut réaliser où se trouvait son salut, car il s'élança sans demander son reste.

Devant elle, les croupes des okydas de Linlin et Bogian la guidaient pendant qu'elle chassait, les yeux à demi-fermés, les quelques piramors plus téméraires. Certains essayaient de l'aveugler, elle et l'okyda ; d'autres s'accrochaient à ses cheveux, la piquaient à travers ses vêtements. Déterminée à atteindre l'abri providentiel, elle résista à la douleur et ignora son rythme cardiaque désordonné, ses muscles crispés.

Son sang affolé dans ses veines.

Au moment où Flore relevait ses paupières afin de vérifier sa route, elle fit face à l'un des carnivores. Il ressemblait à un merveilleux oiseau, avec son beau plumage ébouriffé et ses pupilles dorées, mais quand il ouvrit son bec, les deux rangées de minuscules dents le transformèrent en...

Un monstre vorace !

Le feu qui brûlait dans le ventre de la novice propulsa une telle énergie dans son corps, que son poing frappa le prédateur avec violence. Il percuta ses congénères et lui libéra la vue plusieurs secondes. Un temps suffisant pour lui permettre d'apercevoir les arbres à proximité, vers lesquels elle précipita sa monture.

Dès qu'elle les atteignit, les piramors disparurent comme par enchantement. Le maître archer n'avait pas menti : la végétation, trop toxique, ne leur convenait pas.

Alors qu'elle s'apprêtait à se réjouir, croyant le groupe sauvé, la question de Linlin l'interpella :

— S'en sortiront-ils ?

L'angoisse dans la voix de son amie et l'absence de réponse de Bogian étreignirent le cœur de Flore. La gorge nouée, elle se retourna avant d'étouffer un cri devant le spectacle d'horreur qui se déroulait sur le plateau.

Les piramors encerclaient les deux hommes, montés sur le même okyda, le second servant de repas aux carnivores à quelques pas. D'ici peu, il ne demeurerait plus que son squelette. La novice saisit enfin la cause de l'agression et pourquoi elle avait échappé au massacre.

Le sang de Yeldo les a attirés, plus alléchant que nos décalants morts !

Les combattants repoussaient l'ennemi de leurs épées, mais les prédateurs apprenaient vite. Ils se faufilaient là où le champ était libre, persécutaient leurs proies, tant de leurs becs que de leurs hurlements effroyables.

Non, ils ne s'en sortiront pas, répondit-elle in petto à la question du tourbillon. Pas sans mon aide !

Sa paume serrant sa perle, dissimulée dans une poche de son pantalon, elle activa le pouvoir de téléportation. L'instant suivant, debout à côté des hommes, elle était assaillie des piramors. Elle parvint au milieu de cette horde à effleurer le bras de Yeldo et se dématérialisa aussitôt, pour réapparaître à l'abri des arbres, où elle libéra le garçon avant de repartir. Flore ramena tour à tour, l'initié et l'okyda. En deux claquements de doigts.

Elle poussa un soupir de soulagement. Hormis une monture, ils étaient tous saufs et les oiseaux frustrés commençaient à abandonner la partie. Même leurs cris diminuaient. Mais son sourire se figea quand elle se rendit compte de ce qu'elle venait d'accomplir.

Utiliser ses pouvoirs psychiques devant les Imlayas !

Le cœur battant à la chamade et les mains moites, elle pivota lentement. Quatre paires d'yeux la fixaient avec différentes expressions.

L'effroi chez Bogian et Yeldo, comme si elle s'était transformée en un piramor.

Le choc pour Linlin et...

La colère, la déception ou la tristesse chez le maître d'armes ?

Impossible à déterminer. Pourtant, la preuve qu'il attendait sur son statut afin de la dénoncer aurait dû le réjouir ! La première personne à réagir fut néanmoins l'archère, qui récupéra une lame au sol et la menaça.

— Une kiriahni parmi nous ! Je ne regrette plus cet assaut. Il a permis de découvrir un ver, d'éviter qu'il empoisonne l'oracia.

— Rends-moi mon épée et calme-toi, exigea Akeno. Flore ne va pas nous tuer.

— Qu'en sais-tu ? La prophé...

— Dans ce cas, elle ne nous aurait pas secourus, interrompit-il.

— La défendrais-tu ? souffla-t-elle, soupçonneuse. Oserais-tu la laisser s'en tirer à bon compte ?

Le visage de l'Imlaya, parsemé de multiples coupures des piramors, se crispa brièvement avant de rétorquer d'un ton neutre, la main tendue :

— C'est au Conseil de décider de son sort.

— Donne-moi ta perle, intima enfin Bogian, après avoir retourné l'arme à son propriétaire, et ne résiste pas pendant que nous t'attacherons.

Face à cet ordre, la novice songea un moment à s'enfuir par la téléportation. Même si elle avait consommé une quantité d'énergie importante, il lui en restait assez pour rejoindre Conimont en plusieurs étapes.

Mais cela renforcerait leur fausse croyance et j'aurais échoué. Lorina est plus raisonnable qu'eux, j'ai une chance de la convaincre.

Épaules affaissées, elle obéit et finit à dos d'okyda, les poignets liés à sa selle, sa monture en longe entre celles des maîtres. Le retour s'effectua dans un silence pesant. Elle jeta un coup d'œil à ses amis en arrière : chacun d'eux refusa le contact visuel.

Si ce rejet la blessa encore plus que l'attitude des deux Imlayas, elle se douta que l'accueil de Kishor ne différait guère. La solitude l'écrasa et des larmes coulèrent sur ses joues. À chaque pas, elle s'enfonçait dans un abîme d'incertitude, de douleur et d'angoisse. Seuls les yeux bienveillants de la gardienne l'empêchaient de sombrer, des yeux qui l'avaient remerciée ce matin de l'avoir aidée à persuader les initiés d'évoluer.

Un espoir bien mince auquel elle se raccrochait.

La troupe atteignit le village lorsque le soleil étendait ses rayons rose foncé sur les cimes montagneuses. Ils progressèrent au milieu des habitants qui s'assemblaient de plus en plus le long du chemin, un regard d'incompréhension posé sur elle, puis s'immobilisèrent sur la place, où Tsioli se tenait, encadré des maîtres. Bogian descendit en premier et annonça brutalement :

— Durant l'épreuve du tir à l'arc, la kiriahni Flore a été démasquée. Le Conseil doit se réunir et statuer.

Quand une exclamation d'horreur se propagea dans l'assistance, la princesse se redressa, ne voulant exposer aucune faiblesse, et ne baissa pas la tête face à l'animosité peinte sur le visage des Imlayas. Malgré sa souffrance, elle était prête à les affronter, prête à persuader Lorina.

Tsioli leva un bras afin de réclamer le silence. Dès qu'il l'obtint, il martela :

— Akeno, Bogian, je vous félicite pour votre courage. La prisonnière sera jugée sur le champ. Un groupe a été bloqué par une tempête, pendant leur cueillette de plantes rares, et la gardienne a décidé de mener les secours elle-même, car elle connaît parfaitement cette zone. En son absence, moi, Tsioli, l'aîné du Conseil, je le présiderai.

Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant