Chapitre 20 - Confrontations (Partie 3)

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Récupérer de cette aventure fut rapide avec les soins attentionnés de Linlin. Trois jours plus tard, Flore était sur pied et quittait le village pour son premier entraînement en solo, après une visite à Kishor chez les guérisseurs. Le pêcheur, devenu un héros, ne demeurait presque jamais seul, Yeldo ne s'était pas trompé. Il en profiterait encore une semaine avant l'épreuve de l'Initiation.

Lorsqu'elle s'extirpa du passage étroit, elle écarquilla les yeux devant le décor de la vaste salle. Au centre, un cercle de dix pas de diamètre était délimité par... une langue de feu !

Les flammes, aussi hautes que ses genoux, projetaient une étrange lumière verte, sans odeur, sur les parois de la grotte. Hypnotisée, elle scruta la multitude de cristaux couleur jade formant ce bandeau animé, large de deux mains. Elle s'étonna de la faible chaleur dégagée.

— Ils proviennent des montagnes, seuls les Imlayas s'en servent pour les cours ou les spectacles, formula Akeno dans son dos.

La novice se retourna, un sourcil arqué.

— Tu continues à esquisser par défaut au lieu de riposter, je veux que tu varies les techniques. Avec ce cercle, il te sera impossible de fuir.

— Je vais me brûler si je tombe dedans, objecta-t-elle.

— Uniquement ta peau, la température basse n'enflammera pas tes habits, d'où leur nom « flamme-froide ». Bien entendu, nos guérisseurs n'ont pas la capacité de soigner les cicatrices, au contraire des kiriahnis.

— Vous... vous me laisseriez avec des séquelles ? s'offusqua-t-elle.

Elle ne reconnaissait pas le maître d'armes, qui les guidait avec sagesse. Comme s'il avait entendu ses pensées, celui-ci rétorqua :

— M'as-tu déjà vu faire souffrir une personne ? Je cherche juste un moyen de t'enlever ton défaut. Tu as même un bac avec de l'eau à ta disposition afin de calmer la brûlure si nécessaire. Quant aux séquelles, tu as réussi à défier Kani avec la maladie du sommeil, peut-être réitéras-tu l'exploit ?

La novice se raidit. Si elle s'était inquiétée des regards en coin quand elle avait « ressucité », l'attitude des Imlayas par la suite l'avait rassurée. Ils ne lui en avaient jamais parlé. Pourquoi aujourd'hui ? Son pouls grimpa à cette question, il lui fallait détourner l'initié de ce genre de réflexions.

— Je préférerais éviter, confia-t-elle avec un frisson, les yeux posés sur le bac en bois contre une paroi. J'étais tant surprise d'être en vie que j'en ai remercié notre premier gardien.

— Je n'en doute pas ! opina-t-il. Commençons maintenant.

Elle poussa un soupir discret, l'alerte était passée. Flore imita Akeno qui enfilait son plastron, puis bondit par-dessus le bandeau de feu. Dès qu'elle l'eut franchi, elle regarda son pantalon : aucune flammèche, rien n'avait entamé le vêtement.

Ces cristaux avaient des propriétés extraordinaires !

Après le salut, les deux adversaires engagèrent le combat avec des épées émoussées de plus petite longueur. La taille ne la dérangea pas. Elle parvenait à anticiper les attaques du maître, lui donnait du fil à retordre et se réjouissait de ses parades.

Alors qu'elle lançait une nouvelle joute, une phrase de l'initié la stupéfia :

— Que penses-tu des kiriahnis ?

Elle réagit avec un temps de retard et fut contrainte de reculer de quelques pas, mais sa dérobade l'emporta dans le cercle de feu.

— Tu as échoué, reviens !

— Votre question m'a déstabilisée, protesta-t-elle.

— Cela signifie que tu n'es pas prête. Recommence et réponds-moi.

À peine avait-elle rejoint le centre qu'il lâchait un assaut vers sa poitrine. Ses réflexes l'aidèrent à parer d'un moulinet du poignet.

— Réponds-moi ! lui rappela-t-il, tout en visant ses jambes.

Tandis qu'elle sautait pour éviter la lame, son cœur s'accéléra et ses mains devinrent moites. Aurait-il découvert sa véritable identité ?

Impossible !

Akeno tentait juste de la désorienter par un autre moyen et il avait raison de la pousser dans ses retranchements, car l'ennemi de la vision ne lui épargnerait aucune souffrance. Cependant, ne pas commettre d'impair et résister face aux meilleurs des initiés tenaient de la prouesse.

— Comme tous les Imlayas, nous devons vivre sans eux, puisqu'ils nous ont exilés, souffla-t-elle.

— Je t'ai demandé ton opinion, pas celle de la tribu ! assena le maître, d'une voix forte qui couvrit le bruit de sa lame contre la sienne.

Le combattant augmenta sa poussée sur les armes en croix, la transpiration coula sur le front de la novice. Elle balbutia :

— Je... je n'ai jamais réfléchi au problème.

— C'est un tort !

Les bras puissants relâchèrent leur pression, entraînant un soupir de Flore, mais son soulagement fut de courte durée. L'initié rattaquait si vite que, déséquilibrée, elle chuta et se retrouva... le visage dans le feu.

Lorsqu'elle essaya à se relever, une pointe d'épée sur sa nuque l'empêcha de bouger la tête. Elle ne pouvait même pas parler avec les cristaux contre sa peau, qui la chauffaient de plus en plus, tant elle risquait d'en avaler. Son salut reposait dans la téléportation... ce que cherchait Akeno.

Par Kilyan, je ne me suis pas trompée !

La référence au guérisseur, les questions sur les kiriahnis, les cercles enflammés. L'ombre sur la plage, c'était celle de l'Imlaya ; heureusement, la pluie et sa faiblesse l'avaient protégée. Le maître avait un doute. Qu'il voulait lever ! Il avait prétexté de pousser à l'extrême son entraînement et, dès qu'il aurait la preuve, il la dénoncerait à la gardienne.

Je ne lui donnerai pas ce plaisir.

Elle serra les dents, sous la brûlure vive des flammes-froides. Insupportable. Les larmes perlèrent le long de ses paupières closes, un mélange de douleur et de déception. Le rejet des pouvoirs psychiques transformait le plus sage des hommes en le plus sadique, prêt à la défigurer.

Une rage brute la pénétra : son sang bouillonna, ses muscles se tendirent, sa mâchoire broya un os inexistant. Elle arracha par la pensée la lame de celui qui était devenu son ennemi et bondit vers le bac à eau, où elle s'aspergea copieusement.

— Tu n'as rien à craindre, le contact avec les cristaux provoque une sensation de brûlure, mais ils sont inoffensifs. Je t'ai bloqué pour voir comment tu agirais sous le coup de la panique, un test que subit chaque novice. Se servir du déplacement d'objet par l'esprit est acceptable.

Elle glissa une paume sur sa joue, le velours au toucher confirma l'information. Rassurée, encore tremblante de colère et de peur, elle se pencha sur les paroles du maître, dont la signification la laissa dubitative. Cet exercice faisait-il vraiment partie de son apprentissage ? Ou essayait-il d'endormir sa méfiance afin de l'abattre quand elle ne s'y attendrait pas ?

L'initié interrompit ses réflexions et lui annonça d'une voix lasse :

— Ta formation est terminée. Tu peux partir.

Flore s'empressa d'obéir, tant elle désirait mettre de la distance entre l'Imlaya et elle, tant son comportement la bouleversait. Au moment où elle atteignait le passage, elle se retourna une dernière fois pour regarder Akeno.

Le maître d'armes était assis sur une roche, les épaules affaissées, secouant la tête.

Une attitude d'échec.

Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant