Chapitre 16 - La quête (Partie 1)

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Le lendemain de la soirée avec Akeno, Flore ne prêtait pas attention au chemin bordé de neige ni aux couleurs de l'aube sur le lac tandis qu'elle se dirigeait vers les écuries. Son esprit voguait ailleurs, à définir un plan afin d'obtenir la vérité sur la prophétie des Imlayas de la bouche de Perdina.

Y songer lui arracha un frisson.

Si la veille, elle était déterminée à agir ; aujourd'hui, elle flanchait. Pendant ses réflexions nocturnes, elle avait compris que la seule manière de ne laisser aucune trace de son passage était de lire les pensées de la combattante quand elle dormirait, à l'instar d'une bulle de lecture.

En tant que maître kiriahni, elle avait été formée à déclencher n'importe quel pouvoir, même ceux qu'elle n'avait pas. Dans une moindre puissance, sur un temps plus court. Cet enseignement leur permettait de faire face à toute situation comme celle d'aider un jeune apprenti à bloquer un talent dangereux, s'il avait la malchance d'en posséder un, afin d'éviter une catastrophe. Elle avait donc le moyen d'atteindre son but.

Mais de là à pénétrer de force dans l'esprit d'un Auroréen !

Après avoir bafoué ses valeurs pacifiques en rejoignant la tribu, enfreint les Principes, elle s'attaquait au sein de son éducation : l'interdiction d'utiliser un kiriah maudit ! À cette idée, son ventre se révulsa tant qu'elle plaça une main dessus pour le calmer.

La novice chassa les préoccupations qui la perturbaient à ce point. Elle se pencherait sur son problème plus tard, il n'y avait pas d'urgence après tout et peut-être trouverait-elle une autre façon de s'y prendre. Pour l'instant, la préparation des entraînements avec Perdina l'attendait.

Elle pressa le pas, salua le forgeron au passage et gagna le parc des okydas. Ils gambadaient joyeusement, insensibles au froid, protégés de leurs poils épais, alors que la buée s'échappant de leurs naseaux trahissait la température basse de cette belle journée d'hiver. Flore ne put les admirer longtemps.

Dès qu'elle apparaissait, ils accouraient toujours vers elle en quête d'une friandise. Un rituel matinal auquel elle ne se dérobait pas. La novice récupéra plusieurs morceaux de racines dans un bac, prévu à cet effet, et s'appuya contre la rambarde en bois de l'enclos. Pendant que les animaux happaient délicatement l'offrande posée sur sa paume à plat, elle apprécia leur souffle chaud sur ses doigts glacés.

Satisfaits, les okydas la remercièrent d'un piaffement ou d'un coup de tête avant de repartir à leurs jeux. Elle les regarda quelques instants folâtrer avec une pointe d'envie. Au moins eux jouissaient de la vie sans être confrontés à des dilemmes épineux pour secourir leur monde.

Sur ces pensées philosophiques, elle se dirigea vers le logement de Perdina, construit loin de la route principale et des habitations. Flore gravit les escaliers, qui la menaient à la galerie de la maison octogonale sans étage, et frappa à la porte.

En attendant une réponse, les mains au chaud dans les poches de son pantalon, elle observa le moulin au bord du lac, dont l'aube tournait à bonne allure, puis les hommes et les femmes qui sortaient de la scierie un peu plus loin. Ils portaient des planches pour réparer des bâtiments.

Depuis la visite d'Edjo, la tribu avait réussi à établir un village avec tous les corps de métier nécessaires à leur autonomie. Les plantes rares récoltées en haute montagne permettaient d'obtenir le reste par le troc auprès des différents marchés ou des uriahs.

Les Imlayas étaient prêts à se défendre en cas d'attaque, perpétuant le combat comme l'avaient désiré la reine et Lorin, comme le dictait la prophétie basée sur la prémonition de Louno. Et, après le récit fidèle de la création de la tribu par Akeno, elle était persuadée que les initiés possédaient encore la sphère originelle.

Pourquoi alors refuser de la raconter ?

Cela n'avait pas de sens : même un novice exprimerait sa fierté de contribuer à un tel destin ! De repousser un envahisseur de l'espace !

La princesse avait l'impression d'être au pied d'un mur infranchissable, qui l'empêchait de contrer sa vision. Heureusement, le temps jouait en faveur d'Aurora.

Elle revint au présent et fronça les sourcils devant la porte encore close. L'heure avançait, et ses amis arriveraient bientôt pour leur entraînement. Flore toqua à nouveau, mais aucune réponse ne lui parvint. Après une hésitation, elle entra dans la pièce principale, où elle découvrit le maître endormi sur un canapé.

Son cœur manqua un battement.

Elle tenait l'occasion tant espérée sans prendre de risque, grâce à l'isolement de la combattante. Tandis que ses doigts se crispaient sur sa perle camouflée dans une poche et que sa gorge se desséchait, elle s'approcha avec précaution de sa victime. À chaque pas, son pouls s'accélérait ; à chaque pas, la moiteur sur sa peau augmentait.

Les dents serrées, la kiriahni se connecta à sa perle puis se l'imagina se teinter en marron : la couleur de la lecture forcée. Celle d'un pouvoir maudit. Cette pensée annihila aussitôt sa volonté et elle capitula avant même d'avoir essayé.

Sojeyn, je te donnerai ma place avec plaisir !

Le poison de la honte se rua dans son sang. Elle n'était qu'une froussarde, incapable de se lancer dans l'inconnu à l'instar de son frère quand la survie de son monde l'exigeait. Les plus sages Auroréens disaient que les situations graves révélaient la vraie personnalité. La princesse était servie ! Non seulement elle ne réussissait pas à agir, mais elle appelait Sojeyn à la rescousse. Comment espérait-elle sauver la planète si elle était une peureuse ?

La voix perchée de Perdina la tira soudain de ses sombres réflexions, qui tournaient en boucle dans sa tête :

— Flore ? Que fais-tu chez moi ?

— Je voulais lire... te réveiller, car tu ne répondais pas à mes coups à la porte, bafouilla la novice.

—  Corno a été malade et je l'ai veillé toute la nuit. Même si je suis morte de fatigue, je ne m'imaginais pas m'assoupir.

Le jeune okyda avait la fâcheuse manie de tester les plantes inconnues. Hier, un initié n'avait pas refermé le box correctement et l'étalon en avait profité. Le maître avait passé un tel savon à l'Imlaya que celui-ci n'était pas prêt d'oublier son erreur.

Heureusement, le fugueur obéissait dès qu'on le sifflait ; malheureusement, le mal avait été fait.

— Est-ce qu'il va mieux ? As-tu besoin de mon aide ?

— Il est hors de danger. Hélas, il n'apprend pas de ses bêtises comme mes élèves ! Toi, par contre, tu es toute pâle. As-tu un souci ?

Flore faillit avaler de travers : à deux doigts de se trahir lors de sa première réponse, le maître se rendait compte maintenant de son malaise.

— Je ne digère pas mon dernier repas, s'excusa-t-elle, les yeux baissés, une paume posée sur son ventre.

Un demi-mensonge. Penser au pouvoir maudit lui avait encore retourné l'estomac. Néanmoins convaincant, puisque la combattante l'envoya se rafraîchir au plus vite avant l'arrivée des novices, pendant qu'elle-même préparerait le manège.

Elle courut rejoindre la salle d'eau, qui jouxtait les écuries, et s'y enferma. Dos contre la porte, elle aperçut sa peau bleu pâle et ses cheveux gris foncé dans le large miroir sur le mur opposé.

Pas étonnant que Perdina se soit inquiétée avec ma tête de déterrée.

Flore s'approcha du vaste bassin central en pierre noire, dans lequel des fontaines émettaient un doux bruit, et s'aspergea le visage à celle déversant l'eau froide. Le choc glacial lui remit les idées en place. Elle s'essuya, refit sa tresse, puis vérifia le résultat dans la glace.

De nouveau présentable.

La kiriahni se dépêcha de retrouver le maître d'équitation dans le manège extérieur, où elles installèrent des obstacles de différentes hauteurs. Les deux femmes avaient à peine terminé que les novices surgirent.

Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant