Chapitre 8 - Réconciliation (Partie 3)

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L'après-midi, Flore se promena dans la forêt avec son frère. Silencieux, ils se ressourçaient, refusant de parler du lendemain, de leurs craintes, de ces responsabilités qui les écrasaient, de cette menace sur la tête des Auroréens.

Au détour d'un chemin, la princesse aperçut ses parents de dos, assis sur un banc en bois. Altar capturait le visage Katja entre ses paumes avec délicatesse et posait ses lèvres sur les siennes, tandis que leurs perles émettaient un halo blanc, sous l'effet du Lien. Flore s'immobilisa, interdite.

Que font-ils ? Comment...

— Partons, l'interpella Sojeyn, le reflet mauve de ses cheveux virant au violet soutenu.

Sans attendre sa réponse, il s'éloigna. Alors qu'elle s'apprêtait à le suivre, son père les appela tous les deux. Elle se retourna, hésitante, face à Altar, qui se tenait debout. Katja, derrière lui, affichait un air gêné.

— La lecture des mémoires d'Edjo m'a enseigné certains points par rapport au toucher, lui déclara le roi. Le vivrez-vous un jour avec vos compagnons respectifs ? Si cela se présentait, ne le rejetez pas. Mais l'essentiel se trouve dans la magie du Lien, que je vous souhaite de recevoir.

— Espérer après ne me paraît pas réaliste, tant il est rare, objecta-t-elle. Je ne l'ai pas avec Tojian et m'en contenterai.

— Peut-être n'est-il pas celui qu'il te convient, annonça sa mère. Ni Mioca pour toi, Sojeyn.

— Avez-vous eu une prémonition ? s'étonna l'adolescent.

— Non, ma remarque signifie : prenez votre temps. Ne cédez pas aux injonctions du Conseil ou de toute autre personne.

Sur ces propos incompréhensibles, ses parents les quittèrent. Flore, qui n'avait pas répondu à leur salut, tant elle était interdite, se demanda si elle avait rêvé cette scène. La reine l'avertissait de ne pas se précipiter, de s'assurer de son choix ? Sans plus s'expliquer. Avait-elle...

Elle a eu une vision, compléta Sojeyn, sans le savoir. J'en suis persuadé.

Moi aussi. Elle refuse de l'avouer pour ne pas nous en révéler plus.

Concentrons-nous sur la tienne, elle est bien plus importante !

Son frère avait raison. La prémonition concernait leur vie privée, si loin dans l'avenir, et surtout moins dangereuse que l'invasion d'Aurora. Ils rentrèrent à Conimont en silence tandis que le crépuscule se déployait.

La princesse fut enchantée quand tous décidèrent de demeurer pour la nuit. Ixli contacta Courm au palais afin qu'il justifie l'absence du couple royal, et Sojeyn prévint le majordome de Yoron, le doryaumi. Libre de ses mouvements, il n'avait aucune explication à fournir.

Pour Flore, le temps s'arrêtait : ni elle ni sa famille ne mentionna le jour suivant, comme s'il n'existait plus. Ou plutôt, comme s'il n'existerait jamais. Ils s'installèrent autour d'un feu de camp, sous les voiles, gorgés d'orange et de vert, d'une aurore, dansant au rythme de la musique jouée par Matoli.

Dans cette atmosphère emplie de plénitude, leurs chants accompagnèrent l'instrument à quatre cordes qui égrenait des sons cristallins, jusqu'au moment où le sommeil vainquit les plus âgés. Leurs hôtes les drapèrent de couvertures, puis se couchèrent, pendant que la princesse et son frère s'allongeaient à l'écart.

Ils se remémorèrent les instants heureux, mais aussi certains plus pénibles qui les faisaient rire avec le recul. Pourtant, derrière cette joie, un début de tristesse perçait. Infime. À peine une tonalité plus basse que Flore percevait dans la voix de Sojeyn. Elle remercia alors les ombres de la nuit.

Elles masquaient ses joues humides.


Quand la princesse rouvrit les yeux à nouveau, le soleil avait chassé les étoiles, et sa lumière avait obligé les derniers lambeaux nocturnes à s'estomper.

Le sablier du temps avait repris son cours, indifférent à sa peine.

Elle se dégagea de sa couverture et rejoignit d'un pas lourd le petit déjeuner, devant lequel sa famille était attablée. Matoli et Maya, qui se préoccupaient d'eux avec diligence, essayèrent d'égayer l'ambiance avec des anecdotes sur la beauté de la nature environnante. En vain. Les visages restaient fermés, les mots se coinçaient dans la gorge, les gestes avaient perdu leur fluidité. Flore mangea peu, rien n'avait de goût.

Puis son père donna le signal du départ. Il repoussa une assiette encore pleine et se leva, tous l'imitèrent.

— Ma fille, j'approuve ton choix de renouer avec la tribu légendaire, déclara-t-il après avoir toussé. Au moindre problème, n'hésite pas à appeler Ixli. Ne prends pas de risque insensé. Si la situation tourne mal, reviens vers nous.

— Je ferai attention, je vous le promets. Cette réconciliation me réchauffe le cœur, m'apporte la force d'affronter l'inconnu. Je pars sereine, car votre esprit m'accompagnera à chaque seconde jusqu'à nos retrouvailles.

— Pendant que tu tenteras de rallier les Imlayas à notre cause, je m'efforcerai de convaincre les doryaumis d'un premier contact avec la Confédération en vue d'une adhésion. Personne sur Aurora ne connaît les lois d'Aequalis et les ignorer est une erreur.

— Ixli et moi avons pris la bonne décision de ne pas t'impliquer lors de mon audience, confia la princesse ensuite à son frère. Tu n'apparaîtras pas influencé au côté de notre père, ce qui vous sera d'un grand secours.

Sojeyn opina, les lèvres pincées. Elle retint un soupir, s'imaginant sans peine ses pensées : il échangerait leur rôle, si elle l'en priait. Mais il savait combien cela lui était impossible. Tant que sa formation de kiriahni n'était pas terminée, il devait rester à l'uriah.

Avec des pouvoirs psychiques aussi puissants, tu représenterais un danger.

Un contact mental d'Altar la détourna de ses réflexions :

Mon enfant, un dernier point. Ta disparition risque d'entraîner une réaction négative du Conseil à ton sujet. Un jour ou l'autre. Quoi que je fasse ou dise. En es-tu consciente ?

J'assumerai les conséquences de mes actes, car la liberté de notre planète est devenue ma priorité !

Elle rendit un regard franc à celui inquisiteur de son père, qui hocha la tête après plusieurs secondes, et se tourna vers Ixli. Sa tante lui donna une fiole de liqueur de llyriah.

— Continue à étudier ta vision. Plus tôt tu identifieras notre ennemi, mieux nous nous défendrons. Tu peux l'analyser sans mon aide.

Flore la remercia et adressa des mots de tendresse à sa mère. Puis les trois adultes se dématérialisèrent, la laissant seule avec son frère pour leurs adieux.

Avant qu'elle ne puisse lui parler, il lui tendit ses mains, ouvertes vers le ciel. La princesse l'observa, perplexe. Et comprit. Sojeyn répétait le geste fraternel d'Edjo et Lorin, il lui proposait de l'adopter. Malgré sa propre réticence naturelle au toucher.

Avec un sourire, mélange de tristesse et de joie, elle posa ses paumes sur celles de l'adolescent, qui les serra avec douceur. Silencieux, ils partagèrent leurs émotions au travers d'un simple échange visuel.

Sojeyn la libéra quelques minutes plus tard. Sans une parole, sans un regard en arrière, il s'éloigna de plusieurs enjambées. Flore fixa sa silhouette à travers du rideau trouble devant ses yeux, refusant de les cligner.

Jusqu'au moment où il se téléporta.

Voilà, je suis livrée à moi-même, pour une quête de tous les dangers. Je dois réussir à sauver Aurora, mes parents et... toi, mon frère. Elle essuya ses joues, redressa le buste et rejoignit ses hôtes d'un pas déterminé.

Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant