Chapitre 4 - De déception en déception (Partie 2)

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Au moment où Flore s'apprêtait à s'excuser, Sojeyn l'interpella :

— Est-ce que tout va bien ?

Flore se tourna vers son frère et lut l'inquiétude dans ses prunelles. Il avait dû apercevoir son allure agressive, dont ses paumes gardaient encore la marque de ses ongles plantés dans la chair, et était venu à sa rescousse. Rajouter de l'huile sur le feu, ce qu'il ne manquerait pas de verser à entendre ses explications, n'arrangerait pas ses affaires ni sa culpabilité.

— Oui, Tojian et moi nous nous sommes embarqués dans une discussion animée, mais intéressante, sur les agissements de certains membres du Conseil, le rassura-t-elle dans une demi-vérité, les mains cachées dans son dos. Rien de grave.

— Tout à fait, renchérit son cousin d'un ton calme. Une conversation déplacée dans ce merveilleux cadre.

La princesse envoya un sourire au jeune noble, qui le lui rendit. Hélas, son frère ne fut pas dupe !

— Vous parliez de la vision, et je suis certain, mon cher cousin, que tu critiquais ma sœur, que tu soutiens la décision du Conseil, lança-t-il à Tojian, les paupières plissées. Explique-moi, comment nous défendrions-nous si un jour nous étions agressés ? Peuple pacifique, sans la protection de la Confédération ? Ah oui, j'oubliais ! Nos pouvoirs psychiques nous sauveront. Voilà ce dont vous êtes persuadés.

Tojian ouvrit la bouche, puis la referma après avoir jeté un coup d'œil dans sa direction. Il ne désirait pas déclencher une nouvelle querelle, comprit Flore. Toutefois, il ne céda pas de terrain, et les deux jeunes gens s'affrontèrent du regard. Elle se demanda quelle attitude adopter afin de séparer ces garçons qui ne s'appréciaient guère. Contre toute attente, une aide lui vint de Mioca.

— Si Aurora était attaquée, la tribu légendaire ne nous sauverait-elle pas ? questionna-t-elle d'une voix ingénue.

Les couteaux assassins qu'échangeaient les adversaires retombèrent au sol. S'ils fixèrent ensuite l'adolescente avec des yeux ronds ; en revanche, la princesse pâlit. Sa petite cousine venait d'aborder son idée, et une occasion se présentait à elle d'en apprendre plus.

Sans montrer un trop grand intérêt.

— Tu connais cette légende ? interrogea-t-elle d'un ton léger, après une profonde respiration pour calmer les pulsations vives de son cœur.

— Les histoires d'Aurora me passionnent, déclara Mioca, le torse redressé. À Monti, elle circule dans nos villes et villages. La tribu aurait été créée à la fin des siècles de la Décadence. Elle se cacherait depuis deux mille ans et pratiquerait le combat. Il paraît même que des jeunes la rejoignent, mais on en parle tout bas, car ces guerriers enfreignent les Principes, et personne n'a envie d'être convoqué par le tribunal des kiriahs. Je n'en sais pas plus.

— Leur territoire se situerait entre Monti et Westia, isolé dans les montagnes, commenta Tojian. À Borealia, nous entendons aussi des rumeurs à ce sujet.

— Y crois-tu ? s'enquit Sojeyn.

— Pas du tout ! Pour moi, il s'agit d'un conte sans plus de sens... à l'instar de l'adhésion à la Confédération.

Comme si elle sentait le vent tourner à l'aigre à nouveau, Mioca les interrompit :

— Arrêtez avec vos discussions politiques ! Et passons à table, je meurs de faim.

Son ventre confirma ses dires, écorchant leurs oreilles de ses gargouillis. Ses cheveux devinrent rosés, alors qu'elle posait une main sur sa bouche et l'autre sur son estomac, le visage penaud. Son frère la taquina avec gentillesse. Elle retrouva son aplomb à l'aide d'une grimace enfantine, puis regagna l'aire de pique-nique avec lui et Tojian.

Flore les suivit, soucieuse. Non par les propos de l'adolescente, qui n'apportaient pas d'informations intéressantes, malheureusement, mais par le comportement de son cousin. Il la décevait.

Es-tu le compagnon qu'il me faut, si tu désapprouves mes actes ?

Des frissons la parcoururent, tant il n'était pas dans son habitude de remettre en question ses devoirs. Sauf en ce qui concernait sa vision lui rappella son esprit. Elle préféra chasser cette pensée incongrue d'un geste agacé, plutôt que de s'y attarder.


Pendant leur collation, Mioca entretint une conversation si gaie qu'elle permit d'éviter tout nouveau conflit. Au grand soulagement de Flore. Elle entama son dessert, détendue, et se régala en silence des fougals : des galettes roulées, fourrées d'une crème au miel et de morceaux de fruits frais ou confits, dont raffolaient les Auroréens.

La princesse reconnut l'oracia, un agrume, et savoura le mélange aigre-doux qui fondait sur la langue. Puis elle échangea un coup d'œil avec son frère et ses cousins. Ils éclatèrent de rire, tant leurs visages trahissaient le plaisir.

Dans cette ambiance joyeuse, Mioca annonça avec fierté :

— À l'automne, je commence enfin ma formation des pouvoirs psychiques élémentaires. Je suis impatiente d'y être !

— Pourquoi ? interrogea Flore, amusée.

— Pour le test des kiriahs.

— Il n'aura pas lieu avant tes seize ou dix-sept ans, à la fin de ton apprentissage. Aimerais-tu en avoir ?

— Oui, je partagerai ainsi plus de choses avec Sojeyn.

Embarrassé, son frère détourna la tête. La princesse se mordit les lèvres, et Tojian arqua un sourcil.

— Je n'en possède aucun, argua ce dernier, ce qui ne gêne pas ma relation avec Flore. Comme pour n'importe quel couple !

— Cela ne m'interdit pas d'espérer. Ni que le Lien se déclenche entre nous d'ici notre majorité, ajouta sa cousine, d'un air sérieux.

Cette fois, Sojeyn s'étrangla à moitié tandis qu'elle et Tojian écarquillaient les yeux.

— Voyons ! Tu ne devrais pas parler de sujets personnels, gronda le jeune noble de Borealia.

— Pourquoi ? Puisque nous allons devenir compagnons de vie, j'ai le droit d'émettre mes souhaits.

— Oui, bien sûr, mais uniquement quand vous êtes seuls.

Face à la moue boudeuse qu'exposa alors Mioca, son frère la rassura :

— Ce n'est pas grave. Donne le temps au temps. Nous aurons l'occasion d'en discuter.

L'adolescente acquiesça, et la bonne humeur brilla de nouveau sur les traits de son visage. D'une main, elle masqua un bâillement. Après s'être excusée, elle récupéra une couverture dans une des fontes de son okyda, puis s'allongea à quelques pas d'eux. Elle ne tarda pas à s'assoupir.

— Où sont mes treize ans ? se moqua Tojian. Regardez-la. Elle a déjà oublié son impair et dort comme un bébé.

Ils maîtrisèrent leur rire afin de ne pas déranger le sommeil de Mioca. À son tour, Sojeyn annonça son désir de se reposer, et Flore partit se promener avec son cousin. 

Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant