Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020

Chapitre 5 - La fête de la Moisson (Partie 3)

Dès que Sojeyn atteignit l'une des extrémités de la place principale, sa mâchoire se décrocha. Un groupe important de jeunes gens, chacun muni d'une fleur, assaillaient une Flore, désemparée.

Il avait oublié le protocole !

Lors de la fête de la Moisson, les enfants royaux devenaient accessibles à tout Auroréen qui souhaitait partager une danse avec eux. Plusieurs venaient d'ailleurs de l'apercevoir et se dirigeaient vers lui. Il bénit la culture du non-toucher, évitant ainsi toute bousculade.

Néanmoins, il restait choqué : jamais ils n'avaient été autant sollicités ! Leur prestation respective pendant les spectacles en était sûrement la cause.

— Cela ne s'arrangera pas dans les années à venir, tant que nous n'aurons pas de futur compagnon de vie officiel, maugréa sa sœur, quand il s'en ouvrit à elle en pensée.

Tous les deux ne savaient plus où donner de la tête, comment gérer la situation sans offenser l'un ou l'autre. Ils voyaient la joie de cette soirée s'envoler à tire-d'aile, Tojian et Mioca demeurant à l'écart, atterrés, avec l'interdiction d'intervenir.

C'est alors qu'une aide imprévue débarqua.

Courm, leur majordome, annonça que les demandes devaient passer par lui. Il limita le nombre, effectua un tri, basé sur l'âge et la qualité de la fleur offerte, que personne ne contesta, et l'ordre revint.

Une fois leur devoir accompli, Sojeyn et Flore purent se consacrer à leurs cousins. Ils se mélangèrent aux couples et enchaînèrent les figures complexes en cercle, ou à quatre, au tempo de chansons rapides ou lentes.

L'attitude de Mioca amusa le prince. Elle était aux anges, fière de s'afficher avec lui, heureuse qu'il respecte sa parole. À la première pause, ils se laissèrent tomber sur leur siège. Tandis que son pouls se calmait, l'adolescent accueillit volontiers la fraîcheur de la brise sur sa peau brûlante. Puis il se joignit à sa sœur et ses cousins pour remercier Courm, qui avait décidé de rester avec eux.

— Est-ce dans tes attributions de gérer nos carnets de danse ? questionna Flore.

— Princesse, comme tout majordome, je suis chargé de fonctions dont vous n'avez pas idée.

— Vraiment ? commenta Tojian. Éclairez-nous.

Les yeux pétillants de malice, Sojeyn scruta Courm, que le noble de Borealia fixait avec suspicion. Comment se sortirait-il de ce mauvais pas ? Sans se départir de son sérieux, il rétorqua d'un ton mystérieux :

— Que puis-je vous dire ? Pour commencer, je possède un pouvoir psychique très particulier.

— Oh ! Lequel ? interrogea Mioca.

— Toujours savoir où un individu se trouve physiquement dans le palais, confia Courm en se penchant vers elle. J'informe le roi s'il le souhaite ou si la situation l'exige.

Sojeyn, comme sa sœur, sourit à l'expression émerveillée de sa cousine, si ravie de recevoir un secret, tandis que Tojian arquait un sourcil.

— Juste les personnes ? Pas les objets ? souffla-t-elle, après un regard aux alentours.

— Juste les personnes. Chercherais-tu quelque chose de spécifique ?

— J'adore les légendes d'Aurora, alors je me demandais...

— S'il existait des bulles de lecture, ou de vieux manuscrits, dont je serais le seul à connaître l'emplacement ? compléta-t-il dans un murmure.

Le prince remercia in petto le majordome de combler ainsi la curiosité de Mioca, qui acquiesçait avec force. Pourtant, la magie qu'il avait créée pour sa cousine fut brisée. Par un Tojian, si terre à terre :

— S'il y a des récits secrets, ils sont rangés dans la bibliothèque du palais. Il te suffit d'y aller. Courm te taquine.

Le reflet rose des cheveux de l'adolescente fonça d'un coup alors qu'elle baissait la tête. La perle irisée qui roula sur sa joue agaça Sojeyn. Il se tourna vers son cousin avec le but de l'apostropher, mais celui-ci fixait Flore. Elle lui parlait certainement en pensée, et le visage du jeune homme ne laissait aucun doute sur la teneur des propos de sa sœur.

Quant au majordome, il rebondit sur l'interruption avec calme :

— En effet, la bibliothèque royale regorge de trésors. Toutefois... ce n'est peut-être pas le seul lieu.

Mioca le regarda, interdite. Puis, après un coup d'œil au noble de Borealia, elle répliqua, un peu amère :

— Tojian a raison. Vous me racontez des histoires.

— Je ne me permettrais pas de te mentir ! Cet endroit existe bel et bien. Il contient des manuscrits papier et des bulles de lecture, vieux de plusieurs millénaires pour certains.

Le cœur du prince manqua un battement avant de s'emballer dans sa poitrine. Et sa tête se mit à tourner. Si fort qu'il dut se raccrocher au rebord de la table afin de ne pas tomber. Il jeta ensuite un coup d'œil à Flore, dont le bleu de sa peau était plus pâle que celui d'un malade.

La même idée avait germé dans leur esprit : accéder à une nouvelle source d'informations au sujet de la tribu légendaire.

Une idée insensée, incroyable... si elle s'avérait correcte.

Quoiqu'il brûlât d'en apprendre plus, il se mordit la lèvre inférieure pour s'empêcher de bousculer Courm avec des questions. Il ne voulait pas que ses cousins l'interrogent sur son intérêt soudain. Ses doigts serrèrent tant la table que ses articulations blanchirent, qu'une douleur se propagea dans ses bras.

Allez, dites-le-nous ! cria-t-il au majordome, derrière ses barrières mentales. Mais celui-ci demeurait silencieux.

Allez, Mioca, demande-le-lui ! Hélas, l'adolescente échaudée hésitait à poursuivre.

Sojeyn contrôlait sa respiration avec difficulté. Surtout ne pas se trahir, conserver son calme, rester patient. Pourtant, plus les secondes passaient, plus la réponse s'éloignait.

Alors qu'il s'apprêtait à se jeter dans le bain, la requête parvint, à sa grande surprise, de la seule personne dont il n'espérait rien.

— Puisque vous ne mentez pas, déclara Tojian, révélez-nous où se situe cette pièce. Nous nous y rendrons ainsi dès demain !

— Elle est accessible par la bibliothèque, mais aucun d'entre nous n'est autorisé à y pénétrer.

— Tiens donc ! Étonnant ! railla son cousin, trop heureux de démonter ce qu'il devait considérer comme une plaisanterie. Comment en avez-vous alors connaissance ?

Le rythme cardiaque de Sojeyn ralentit. Pendant que ses doigts se décontractaient, il scruta la réaction de Courm. Le majordome ne le déçut pas. Son regard planté dans celui de Tojian, il riposta d'un ton narquois :

— J'ai eu le privilège de la visiter avec le détenteur de la clef. Qui possède tout pouvoir sur Aurora. Oseriez-vous le contester, Noble Tojian ?

Quand son cousin, déstabilisé, détourna le visage, le prince jubila. Néanmoins, il se retint de l'afficher, à la suite du coup d'œil d'avertissement de sa sœur.

— Courm, puis-je en parler à Sa Majesté ? sollicita Mioca.

Sans le noter, elle détendait l'atmosphère qui s'était chargée d'électricité. Le majordome la fixa avec un sourire radouci.

— Vous ne serez pas autorisée à y entrer. Toutefois, si vous me précisez votre requête, je serai honoré de la transmettre. Peut-être, le roi vous permettra de lire certaines bulles dans la salle principale de la bibliothèque.

L'adolescente le remercia avec effusions. Celui-ci se courba en retour, avant de leur proposer de reprendre les danses. Tandis que Sojeyn suivait Flore, qui s'était empressée d'acquiescer et de les entraîner, il accepta sa demande de contact.

— Tu as entendu Courm, lui annonça-t-elle. Nous avons échoué à l'uriah. En absence d'autre piste...

— Tentons celle-là, compléta-t-il. Quand tu voudras, grande sœur !

L'esprit plus léger avec ce nouvel espoir, le prince s'amusa jusqu'au petit matin, sans plus songer au lendemain.