(52) Grand-mère

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Sortir des Enfers. Plus facile à dire qu'à faire, assurément.
Pourtant nous y étions bien décidés, à la tête de cette joyeuse troupe qui serpentait entre les âmes défuntes. Plus nous nous éloignions du lac, plus nous trouvions des zones exemptes de factio politique défini. Les morts étaient bien plus pacifiques sans idées pour lesquelles mourir...une seonde fois.
Et contrairement à l'opinion générale, ils avaient même l'air heureux.
Oui, heureux. Peut-être que la légende qui dit que tout est inversé est vraie.
Malheureux dans la vie, heureux dans la mort.
Après tout, je n'en sais fichtrement rien et je n'ai pas le temps de m'arrêter pour recueillir des témoignages sur l'existences de ces inconnus.

Je n'ai même pas véritablement eu le temps de faire connaissance avec les enfants.
Pourtant cela serait nécessaire si j'en crois ma théorie quant à leur enlèvement.
J'ai du mal à déterminer lequel d'entre eux seraient capables d'une telle chose?
Enfin je sais que c'est inconscient. Il me faut donc oublier mes espoirs de l'inculper en fonction de son expression faciale. Le mort qui a grandi en lui...son caractère s'est-il imprimé sur celui du garçon ou de la fille pour l'occulter complètement? Ou bien ne fait-il surface que par intermittence? J'ignore si j'aurais un jour la réponse qui convient à de telles questions...

J'ai le coeur serré à l'idée de devoir abandonner Appius et Titius ici.
Qui me dit que j'aurais l'assurance de repartir?
Après tout, plus rien n'est certain...
Je réalise que ma seule idée de repli est de passer par une sorte de porte de sortie qui filtre les vivants et interdit le passage aux morts mais qui me dit qu'une telle porte existe?
Je ne sais pas d'où je la tiens, mais j'en ai la certitude...

Appius et Titius font se relever les embouchures de mes lèvres quoi qu'ils fassent.
Ils sont risibles dans le rôle de nourrice. Je pense que les hommes sont eux aussi à même de remplir cette fonction, si j'en juge le regard débordant d'amour dont ils couvent les petites têtes.

Je m'efforce de retarder ce moment et de regarder autour de moi, mais cette phrase prédomine sur le flot de mes pensées :  Il va bien falloir nous adresser à quelqu'un si nous voulons trouver une quelconque sortie.

L'horizon s'étend à perte de vue. Mais quand je pense "à perte de vue", je veux littéralement dire que mon regard ne trouve nulle part où s'accrocher au loin : aucun relief, aucune variation de température, aucune couleur. Cet endroit est tout de même glaçant.

Je cherche du regard une personne à qui m'adresser, qui serait connaisseuse de l'endroit.
Rien ne différencie un mort d'un autre, il est impossible de jauger l'ancienneté...
Bien sûr, tous ne sont pas décédés au même âge, mais tous ont le même aspect en général : yeux vides, joues émaciés.
Et malgré cet aspect rebutant, il se dégage d'eux une impression de bonhomie et d'apaisement.
Ces personnes ne sont pas malheureuses. Simplement de plus en plus envieuses, si je prend en compte les regards jetés à mes protégés.

Leur état ne laisse pas de place au doute ou à la confusion : ils sont vivants.
Moi aussi, bien que mon aspect extérieur soit plus blafard et moins juvénile.
Oui, je met cette dégradation de mon épiderme sur le compte de l'âge, même si je sais pertinemment que ma théorie ne tient pas la route puisqu'ils sont là depuis plus longtemps que moi. Je suis dans un entre-deux, à nouveau. J'ai l'impression que mon existence est éternellement sur le fil en ce moment !
Je me raccroche à cet ultime espoir de l'âge pour repousser le doute qui enfle en moi, et qui, je le sais, prendra bientôt toute la place. Espoir ridicule puisque nous ne sommes plus soumis aux lois terrestres...
Peut-être que je ne pourrais pas rentrer. Peut-être même que je ne veux pas rentrer.
Après tout, je serais bien ici avec Appius et Titius. Je les aime de plus en plus.
J'ai du mal à déterminer à quand remonte notre rencontre, tant les indices d'évolution du temps sont inexistants ici.

Mais je crois avoir envie de revoir Tonio et Pompée. Mon père vient en dernier.
Il s'est trop mal conduit en me fiançant de la sorte, car bien que cette pratique soit monnaie courante, je m'attendais à ce qu'il me l'épargne.
Et il m'a laissé seule chez ma grand-mère une bonne partie de mon enfance...
Ma grand-mère Aurelia. Qui est devant moi.
Je n'ai pas envie de comprendre.

"Grand-mère? Mais...tu es décédée?"

Aurelia semble encore plus stupéfaite que moi, si une telle chose est possible.
Elle est loin de ressembler à Servia, pourtant elles ont tenu le même rôle dans mon enfance. Des protectrices, presque des amies. Je n'ai jamais eu d'amies de mon âge.
Je me demande si la cause en est un curieux assemblage de circonstances, le hasard, ou bien une autre raison qui relèverait de ma personnalité. Ou de la transmission de valeur de mes parents. Je penche pour cette option, je me souviens que ma mère avait laissé une lettre à mon attention, stipulant de ne me fier à personne en dehors des membres de ma famille. Et de mon père qui approuvait avec moult hochements de tête.
Pour Père, je comprend, il se méfie de Pompée. Mais Mère? Fabia?
Je croyais qu'elles étaient proches...

Ce cheminement intérieur ne fera pas avancer notre cheminement extérieur d'un centimètre, je dois revenir à la réalité qui m'entoure. Les regard interrogatifs des enf    ants et de mes deux légionnaires. Le mutisme stupéfié de ma grand mère.
Ma grand-mère est aussi ronde et râleuse que Nourrice est sèche et enjouée. Je les ai aimé de tout l'amour dont je disposais. On dit que l'amour est infini mais je crois que j'en ai de moins en moins au fur et à mesure que le cercle de mes connaissance s'épaissit...
L'amour peut-il s'essoufler? Je dis que oui.

Ma grand mère esquisse un mouvement, signe qu'elle veut dire quelque chose.

"A ton avis jeune fille? Si je suis ici, ça n'est pas pour le plaisir figure-toi !"

Elle n'a pas perdu son esprit cynique manifestement.

"Par contre je pense que la question est légitime dans ton cas..."

Julia dût lui faire le récit de son épopée, en s'efforçant d'abréger. Une fois sa bouche refermée, son ancêtre en ouvrit une béante, comme pour contrebalancer.
Julia acheva sur une question, qui, une fois ejectée de son esprit, cessa de la tourmenter pour un instant.

"Sais-tu où se trouve la sortie des Enfers?"

Julia Caesaris Where stories live. Discover now