(38) Relation houleuse

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"Julia ! Toi, ici? Mais qu'est-ce qui t'as pris?
-Maman...je m'attendais à un peu d'émotion de ta part mais je remarque j'ai été bien optimiste.
Je suis venue pour sauver des enfants de la mort, y a-t-il une raison plus vertueuse pour être en Enfer?
-Mais la situation était déjà presque contrôlée ! Oh ma petite chérie, mais tu t'es tuée pour ça?"

Il y avait une note discordante dans sa voix, une tessiture qui sonnait faux, un relent d'hypocrisie.

Comme si elle cherchait à se débarrasser de moi...

Julia entraîna sa mère à part pour lui exposer la situation sous toutes ses coutures : non, elle n'était pas morte, oui elle était pleinement épanouie dans sa vie avec Pompée et se réjouissait de la voir enfin.
La première impression de déconvenue qui s'était gravée dans l'esprit de Julia ne faisait que se confirmer au fil des conversations avec sa mère.
Elle apprenait que cette dernière se satisfaisait presque de la situation, qu'elle avait prit la tête des opérations et qu'elle ne craignait rien pour sa propre existence...somme toute, elle était devenue une de ces femmes sans foi ni loi qui laissent les autres verser leur sang pour faire adopter leurs idéaux...des idéaux qui n'était même pas vraiment les siens puisqu'elle ne faisait que prendre le parti de son mari encore en vie.

"Maman, pourquoi m'as tu affirmé que la situation était sous contrôle après m'avoir vu débarquer en trombe?
-Nous avons eu vent de l'enlèvement et nous sommes empressés d'envoyer nos hommes sur le terrain. Que je t'explique : pour réussir à embarquer sur le quai de notre côté, celui des populares, et traverser le lac Avernes sans encombres et sans se faire couler par les optimates, il faut montrer patte blanche au quai d'embarquement en leur prêtant allégeance...
Ce système doit te paraître loin d'être infaillible, sachant que l'être humain peut mentir aussi naturellement qu'il respire. Mais si ce postulat demeure vrai lorsque justement l'on respire, donc lorsque l'on est vivant, il s'avère bien plus malaisé de mentir sans avoir un poids sur la conscience lorsque l'on est un esprit.
En effet, cela empêche de se réincarner dans un autre corps, ce qui pose de sérieux problèmes à la majorité d'entre nous...ce qui s'entend bien sûr !
Pour reprendre mon explication, nous avons déniché les pires gredins qui soit et les avons convaincu que leur personnalité ne serait pas une grosse perte pour l'humanité si jamais elle devait venir à disparaître. Cela n'a pas été une mince affaire mais nous avons trouvé nos hommes et leur avons enseigné les rudiments de la politique optimates afin qu'ils soient à même de répondre aux questions avec justesse.
La tactique a fonctionné, nos envoyés veillent à ce qu'aucun mal ne soit fait aux enfants et nous attendons le moment propice pour une éventuelle libération."

Julia tiqua sur le mot "éventuelle". Ainsi la libération n'était pas une obligation?
Il se pouvait que les enfants soient abandonnés à leur funeste destin?
Non, décidément, sa mère n'était pas celle qu'elle escomptait rencontrer....
Elle ne semblait presque pas être la même personne que celle qui était venue implorer son soutien en songe.

Cette dernière s'empressa d'aiguiller la discussion sur un autre sujet, qui serait moins source de contrariété pour l'une comme pour l'autre. Ce n'était que partie remise puisque Julia n'aurait de cesse d'essayer de comprendre cet être qui l'avait engendré.

"Ma chérie...voudrais-tu que je te présente un peu aux membres du camp puisque tu nous honores de ta présence?"
Julia esquissa un sourire hypocrite.
"Ce sera avec un plaisir immense maman."

Appius et Tutius se tenaient un peu en retrait, ils avaient l'air d'être aussi à l'aise que des éléphants dans un magasin de porcelaine.
Julia les enjoint à les accompagner.

Tous suivirent Cornelia en file indienne, sans qu'un mot n'ait l'audace de franchir le barrage de leurs lèvres. Ils s'entre regardaient et on aurait pu lire cette question dans leurs prunelles: "N'aurions-nous pas mieux fait de demeurer sur les hauteurs de la colline comme tout le monde, patienter sagement et attendre que les échauffements se soient refroidis?"

Il était un peu tard pour revenir en arrière et il décidèrent d'opter pour la docilité.

La mère de Julia arrangea sa toge avant de les faire pénétrer dans la seule tente du campement. Julia fronça les sourcils. Comment se faisait-il qu'ils ne l'aient pas remarquée depuis les hauteurs?
Sa mère répondit à la question sans même qu'elle ait eu besoin de la formuler.

"Cette tente est invisible pour quiconque est étranger au campement. Désormais vous faites partie des nôtres, la tente vous est visible."

Julia acquiesça tout en se faisant la réflexion que cette situation d'appartenance ne lui plaisait guère. Elle se sentait presque opprimée...

A l'intérieur, ils eurent la surprise de découvrir du mobilier, des tricliniums, et même de la nourriture !

"C'est à l'attention de Cerbère, il est toujours affamé lorsqu'il vient nous rendre visite...il est insatiable !" ajouta-t-elle en riant de bon coeur.

Julia ne se prenait toujours pas au jeu de la gentille petite fille qui retrouve sa maman adorée.
Elle devait s'efforcer de le cacher sinon le vent aurait pu tourner en leur défaveur...

Un homme et une femme leur tournaient le dos, discutant autour d'une table entièrement recouverte d'une carte immense.
Ils paraissaient si absorbés par leur discussion qu'ils ne les virent pas arriver.

Cornelia signifia leur présence par un raclement de gorge des plus éloquents.
Ces personnes ne lui étaient ni inférieures, ni supérieures : elles étaient ses égales.

Les deux venaient à peine de se retourner que déjà Cornelia entamait les présentations.
"Julia, cette femme est Fabia, mon amie d'enfance, tandis que cet homme se prénomme Marcus."
Puis, se tournant vers eux : "La fameuse Julia César, ma fille."

Julia était stupéfaite. Cet homme devant elle était le Marcus auquel elle était promise avant de se marier avec Pompée...

Julia Caesaris Où les histoires vivent. Découvrez maintenant