(16) Sommeil troublant et troublé

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Pdv Julia

Il est rare que quiconque parvienne à me tirer du sommeil lorsque j'y suis plongée.
Je suis insensible au moindre événement extérieur, mais celui-ci provenait de l'intérieur.
Je ne saurais l'expliquer, il pourrait ne s'agit que d'un songe parmi d'autre, mais il paraissait bien trop réel pour avoir été façonné de toutes pièces par mon esprit.
De plus, l'autrice de mes jours n'est plus la première de mes préoccupations, sans vouloir offenser sa mémoire.
Ainsi, tout me porte à dire qu'il s'agissait bien d'une intervention de ma mère...
Elle m'est apparue d'abord très floue, puis ses contours se sont clarifiés.
C'était tout comme si elle se tenait devant moi, avec un fond noir derrière elle.
Elle avait l'air étrangement calme, comme si il n'y avait rien de plus normal que de se retrouver en face de sa fille alors qu'elle était décédée il y a de cela belle lurette.
Il est surprenant que je l'ai reconnue uniquement à partir de la description que mon père m'en a faite, et pourtant j'avais l'intime conviction qu'il s'agissait de ma génitrice et personne d'autre.
Elle s'est penchée à mon oreille et m'a susurré de faire attention avec Pompée.
J'ai voulu connaître la cause de cette mise en garde, mais elle n'a pas daigné piper mot pour me répondre.
Au lieu de cela, elle a changé de sujet et m'a demandé ce que je pensais de la guerre.
Quelle question...je me suis demandé pourquoi je répondrais à la sienne puisqu'elle n'en avait pas fait autant pour moi. Finalement j'ai décidé de saisir l'opportunité d'échanger avec elle et de ne pas être bornée comme on me l'avait tant répété.
Je lui ai évoqué mes souvenirs d'enfance, ce village sauvagement dépouillé de ses habitants. C'était là la seule vision que je possédais de la guerre.
Elle a poursuivi son interrogatoire.
Si je connaissais les raisons de cette guerre? Vaguement...
Elle a pris un air terriblement sérieux avant de m'annoncer que la guerre faisait rage aussi de l'autre côté.
Au début, je n'ai pas compris.
Comment ça, de l'autre côté ?

Lorsqu'elle m'a expliqué, tout s'est éclairci.
Les défunts ont le choix : soit ils embarquent à bord d'une barque qui les emmène de l'autre côté d'un fleuve ou bien ils demeurent sur la berge.
Laissez-moi vous faire part de la symbolique : passer de l'autre côté signifie renoncer entièrement aux vivants et à tout ce qui s'y rapporte, tandis que la berge permet de s'informer des actions des vivants.

Et il s'avère que les camps ont perpétué leur discorde en choisissant chacun un côté du fleuve pour poser bagages.
Ainsi, les populares dont fait partie ma mère se voient obligés de demeurer dans l'éternel tourment de l'entre deux, à voir ce qui se trame dans le monde des vivants sans pouvoir y intervenir...
Des assauts ont lieu régulièrement, toute  l'organisation habituellement réglée comme du papier à musique du passage des âmes sur la barque doit être bien détraquée pour que des allers-retours puissent être effectués de la sorte.

Ma mère trouve le moyen d'en plaisanter en me certifiant que même si elle avait eu le choix, elle aurait fait celui de continuer à me surveiller de là-haut. Elle en rit un instant avant de retrouver son sérieux et de planter son regard dans le mien. Selon elle, il n'y a qu'un moyen de mettre fin à cette querelle et il s'agit de l'apaiser chez les vivants, afin que les défunts martiaux aient le sang un peu moins bouillonnant lorsqu'ils débarquent par chez eux.

Je suis perplexe : elle attend de moi d'intervenir dans ce conflit?
Je ne me sens pas en mesure de faire quoi que ce soit, je suis impuissante...
Père a le soutien des populares, peut-être pourrais-je leur faire entendre raison à force de persuasion?

Il se révèle ardu de clore une conversation lorsque celle-ci se déroule uniquement dans son propre esprit. J'ignore si vous avez tenté l'expérience mais ça n'est pas une mince affaire !

Je demandais à Mère de me faire sortir de cet état second pour pouvoir faire selon sa volonté. Elle prit un air suspicieux et une mine plaintive, arguant que je ne voulais plus d'elle.

Ce qui est faux bien sûr...mais pour être sincère avec moi-même, j'ai grandi sans mère et je n'en ressens aucun manque.
Cette soudaine intrusion irait presque jusqu'à me déranger !

Alors, contre la promesse de respecter la sienne, elle agréa à ma volonté et me laissa en paix.

Julia Caesaris Where stories live. Discover now