(29) Disparitions infantiles

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Pompée n'avait pas découvert le pot aux roses et Julia ruminait ses pensées en boucle sans parvenir à se résoudre à croire son instinct.
Il était si aimant, elle commençait presque à apprécier sa compagnie...

Pourquoi fallait-il autoriser les démons du passé à ressurgir de la sorte?
Elle aurait préféré les enfouir sous terre plus profondément que le moindre squelette dans sa sépulture...
Mais cela aurait été un sacrilège à la mémoire de Fabia. Elle se devait de rester sur ses gardes, de ne pas accorder sa confiance à ce meurtrier...

Elle était devenue plus silencieuse que son époux et ce n'était pas peu dire.
Ce dernier ne s'en souciait pas outre mesure, absorbé qu'il était toujours dans la rédaction de ses lettres ou contrats.

Elle avait bien essayé de l'interroger à ce sujet. Tout ce qu'elle avait obtenu consistait en un grommellement et une réponse indistincte qui clamait qu'il n'y avait là que de la paperasse administrative, rien d'intéressant.

Mais oui.

Cet épisode avait eu le mérite de lui permettre l'accès à la bibliothèque. Pompée avait pensé qu'ainsi elle s'occuperait d'autre chose que ses petits secrets...
Julia y passait des heures et des heures sans toutefois se laisser réellement emporter par une histoire, obnubilée qu'elle était par ses propres travers romanesques dignes d'un tel ouvrage.

Une journée vint rompre la monotonie de son existence. Une journée qui commençait
pourtant comme les autres...

Julia se dirigeait vers son lieu de prédilection pour y passer le restant de la journée, la sainte bibliothèque. Pompée s'était absenté mais n'avait pas manqué d'emporter ses précieuses lettres. Elle affronterait cette journée avec courage, s'efforçant de ne pas laisser ses souvenirs de l'animation romaine l'embourber dans les sables mouvants de la nostalgie, desquels il lui était difficile de s'extirper.

Un cri scandant son nom suivi d'une flopée de coups contre la porte n'avaient rien d'anodin.
Elle aurait été incapable de dire l'heure qu'il était, un voile nébuleux recouvrait l'astre solaire et la moiteur de l'instant laissait présager un orage...Mais ce ne fut pas sur ces détails triviaux du paysage que se porta son attention.

En effet, Tonio était devant la demeure et avait l'air totalement paniqué.
Que diable pouvait-il bien faire ici?

Afin de le découvrir, elle descendit lui ouvrir la porte avec réticence.
Le jeune homme ne perdit pas une minute. Pas un salut, il débita une suite de mots qui n'avaient pas le temps de prendre leur signification dans l'esprit ralenti par la lassitude de sa nouvelle vie. D'un geste, elle lui fit mine de se calmer et l'autorisa à pénétrer dans la demeure. Elle se sentit emplie d'une grande sollicitude envers ce garçon qui venait la sortir de son tourment d'ennui.

Une fois à l'intérieur, il s'effondra sur les marches de l'escalier.
"Ma petite soeur...je t'avais parlé d'elle tu te souviens?"
C'était la voix entrecoupée de sanglots qu'il avait formulé cette interrogation.

Julia se sentit troublée. Peut-être mais pourquoi faire tout ce trajet pour lui parler de sa soeur?
Elle avait toujours une longueur d'avance sur son interlocuteur, ne laissant que rarement transparaître ce trait de sa personnalité, de peur d'être qualifiée "d'impatiente" ou tout autre étiquette dont il est difficile de se défaire.
Elle répondit donc avec tout le naturel dont elle était capable, malgré son tumulte intérieur.

"Oui je m'en souviens...Lucia c'est bien cela? Tu ne l'avais pas vue depuis longtemps?
-Tout à fait, puisqu'il semble que je n'ai pas besoin de te rafraîchir la mémoire, venons-en aux faits."

Julia ne demandait que cela.

"J'étais parvenu, dans un élan de servitude déférente, à convaincre Crassus d'employer ma soeur aussi à son service. Elle devait être transférée depuis le centre d'esclave où elle était traitée comme une moins que rien, jusqu'au domicile de mon maître.
Elle était supposée voyager avec une vingtaine d'autres enfants, à bord d'une charrette transportant également des blocs de marbre des carrières environnantes.
Une fois la charrette arrivée à Rome, les blocs étaient tous intacts, mais pas la trace du moindre enfant."

Cette déclaration n'avait fait qu'augmenter le nombre de larmes qui s'écoulaient de ses paupières. Julia savait pertinemment que la réaction appropriée était la complainte et l'accolade amicale, mais elle ne pouvait s'y résoudre avant de poser une dernière question.

"Tonio...je suis infiniment navrée pour ce qui est arrivé à ta soeur, quoi que ce soit. Mais, aide-moi à comprendre, pourquoi être venu m'en parler? Pourquoi moi?"

Il ravala son chagrin, la question avait son importance.

"Eh bien...lorsque Crassus a appris l'incident, il s'est révélé tout à fait compatissant et il était dans une rage folle. J'ignore si la cause en était l'argent qu'il avait perdu lors de l'achat de ma soeur ou mon chagrin, mais le fait est qu'il m'a confié ce pour quoi tu étais venue le voir...en pensant qu'un lien existait entre les deux affaires.

-Si je comprend bien...il est persuadé que les enfants sont enlevés par les morts qui cherchent querelle aux vivants? C'est absurde ! »

Tonio eut l'air pensif un instant avant de déclarer solennellement :
« En ce moment, tout ce qui aurait pu me paraître absurde autrefois ne l'est plus tant que ça. »

Le ton était donné, toute rationalité avait disparue au profit des croyances ancestrales.

Julia Caesaris حيث تعيش القصص. اكتشف الآن