Chapitre 8

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Je ne peux pas réprimer le tremblement convulsif de mes mains quand j'entreprends de ranger mon violon le plus rapidement possible.

— Tu devrais te montrer plus douce avec ton précieux instrument, ricane Nergal, je te fiche la trouille au point que tu risques de péter ton violon ou quoi ?

Les railleries de ce connard me font l'effet d'un gigantesque beigne en pleine figure.

— Quel hypocrite ! Vous m'avez éclaté l'épaule, et vous osez demander si vous me foutez les jetons.

Mon teint clair a sans doute viré au cramoisi, compte tenu du feu ressenti sur mes joues. Il effectue très vite deux ou trois pas dans ma direction, se poste face à moi en affichant un rictus inquiétant sur sa tronche aux mâchoires carrées.

— Tu as récolté ce que tu méritais, réplique-t-il froidement. Je suis beaucoup plus fort que toi, alors ce n'était pas malin de me frapper. Ne te plains pas, j'ai fait très attention à ne pas t'arracher un bras.

Quel culot ! Ce type constitue à lui seul un monument à la gloire du mépris envers son prochain. Je serre les poings, résiste de mon mieux à l'envie de le mettre en morceaux.

— Voilà une fille bien gentille, souffle-t-il comme pour se convaincre lui-même.

Je plaque sur mon visage une expression suave, toussote pour soigner mon effet.

— Je me disais que je pourrais sûrement carboniser votre saleté de carcasse avec un bon fusil laser.

Là, il se marre franchement.

— Pourquoi ne dézinguerais-tu pas une hyper goliath, tant qu'à faire ? Je te rappelle que ceux d'en bas ne sont pas autorisés à posséder des armes létales, et même pas d'armes du tout. Ce fameux fusil dont tu parles doit appartenir à ton père, c'est un ancien militaire d'après ton dossier.

Son ton est devenu dangereux, perfide, nuisible.

— Dans mon rapport, je pourrais évoquer ce souci de violence qui te caractérise, insinuer que ton père en est responsable du fait d'une mauvaise éducation. Il faut cesser les provocations, mon petit cœur. Toi et ta famille, vous allez récolter de gros problèmes.

— Ne t'avise pas de menacer cette jeune fille, intime soudain une voix masculine.

Dans un bel ensemble, Nergal et moi scrutons avec attention la semi-obscurité pour tenter d'identifier celui qui vient de parler.

Hariel Skyline !

Sous l'éclat de la lune, les yeux clairs de Nergal sont devenus aussi transparents que de l'eau, à croire qu'ils sont liquides.

— Maudite engeance, vocifère-t-il rageusement. Je te pensais occupé à satisfaire les ardeurs de la reine Inae, je n'arrive pas à imaginer que cette satanée idiote se soit lassée de toi.

Les traits harmonieux d'Hariel n'expriment pas la moindre exaspération.

— Ma mission était terminée. Je peux t'apprendre, Général, que tes légions se sont vaillamment battues. Dommage que le néant soit la seule récompense qu'Ereshkigal accorde à ses courageux soldats. J'ai été surpris que tu n'aies pas jugé souhaitable de partager leur terrible sort... l'honneur ne l'exigeait-il pas ? achève-t-il paisiblement.

Bon sang ! Je n'ai rien compris à ce charabia, ils répètent une pièce de théâtre ou quoi. Ils paraissent avoir totalement oublié ma présence. J'ai la sensation d'avoir disparu brusquement au creux de la nuit quand Nergal rétorque de manière aigre, cinglante.

— Tu parles d'honneur, mais tu as gagné cette guerre en te glissant dans le lit d'Inae sans le moindre scrupule, et aussi bien qu'un minable reptile.

Il a frappé fort, Hariel Skyline sort quelque peu de ses gonds.

— Ta chère Ereshkigal aurait pu ordonner la retraite pour tes soldats. Hélas, cette sombre créature se nourrit de multiples souffrances, y compris celles de son propre peuple. Au fait, elle ne serait pas faiblarde ces temps-ci ? Ce serait l'explication de ta présence sur la Terre. Ereshkigal espère découvrir quelque chose de nouveau, en mesure de satisfaire son immense appétit... je me trompe ?

— Je vais te pulvériser pour avoir osé insulter ma souveraine, crache Nergal en guise de réponse.

— Ne sois pas si impétueux, Général ! Un combat entre nous annihilerait cet endroit ainsi que toutes les frêles existences autour de nous.

Les deux mythos ont l'air de se souvenir de moi.

— Tu as raison, convient Nergal. Je prends note qu'un jour ou l'autre je traînerai tes restes à l'agonie aux pieds de ma reine, pour qu'elle te dépèce à coups de griffes.

J'ai vu juste, tout cela est excessivement théâtral. 

Je presse mon violon contre ma poitrine. À l'évidence j'ai halluciné, ce qui vient de se produire n'appartient pas au monde réel. J'ose une remarque qui me paraît judicieuse, pertinente.

— Euh... vous avez déjà travaillé dans le même lycée ? On voit que vous vous connaissez plutôt bien.

Nergal me lance une œillade sarcastique avant de s'éclipser sans un mot, Hariel hoche la tête avec douceur.

— C'est exactement ça ! On est en relation depuis longtemps, souligne-t-il. Je peux te raccompagner chez toi, si tu veux.

Une mince silhouette se détache de l'obscurité ambiante. À force de m'attendre, Ahn est venue aux nouvelles.

— Ça ira ! Je ne rentre pas seule.

— Tant mieux, acquiesce-t-il en s'éloignant à son tour.

— Bon sang de bonsoir, chuchote Ahn dans mon oreille.

Je laisse échapper un soupir avant d'énoncer mon verdict sur cette incroyable soirée.

— Aucun doute possible ! Ces deux-là sont des mercenaires, des espions sans foi ni loi à la solde du gouverneur, et peut-être même du grand conseil.

— Bon sang de bonsoir, répète-t-elle plus fort, la bouche entrouverte. J'ai tout entendu, je n'ai rien capté au sujet de cette Inae et l'autre... Ereshmachin.

— Deux de leurs conquêtes, je suppose. Les femmes sont souvent la faiblesse de ce genre de type.

Dans la chaleur étouffante de la nuit, Ahn s'agrippe à mon bras.

— J'ai si peur, murmure-t-elle.

Je voudrais la rassurer, lui expliquer que je suis prête à tout pour préserver les êtres chers, lui mentir en assurant maîtriser parfaitement la situation.

L'Élue (Evangeline)Where stories live. Discover now