Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020

Chapitre 12 - Rendez-vous avec la mort (Partie 2)

Il eut un pâle sourire, reconnaissant son erreur à contrecœur. Toutefois, il déclara :

— Je me posais déjà des questions sur mes actes avant ma conversation avec lui.

— Je préfère cette réponse. L'héritier doit prendre ses décisions lui-même.

Ce rappel de son nouveau statut lui arracha une grimace. Il ne retint plus le poids sur son cœur, soulagé de le déverser dans une oreille compatissante.

— Je n'ai pas souhaité le devenir. J'ai le sentiment d'avoir été trahi par Flore.

— Tu te trompes. Ta sœur savait ce qu'elle faisait, tes parents aussi.

— Ils m'ont tenu dans l'ignorance, persista-t-il.

— Pour ton propre bien, tant nous te connaissons.

Ixli dut lire la stupéfaction sur son visage, car elle rétorqua :

— Oui, j'étais dans la confidence. Si tu es en colère contre eux, alors inclus-moi dedans.

— Je ne le suis plus. Tu as raison, je n'ai pas à culpabiliser. Je désire seulement avancer, soutenir Flore et protéger Aurora.

— Ce sentiment négatif t'a conduit à agir de manière inconsidérée. Promets-moi de ne plus te comporter ainsi. Si tu as le moindre doute ou souci, viens me parler, je t'aiderai.

L'adolescent médita la requête de l'uriahmi, ainsi que l'impact sur ses habitudes solitaires. Puis il se souvint de sa discussion vive avec sa sœur dans la bibliothèque, et concéda :

— J'ai reproché la même chose à Flore lorsqu'elle cherchait des informations sur la tribu légendaire. Il serait mal venu de ma part de rejeter ton conseil. Je te remercie de m'avoir ouvert les yeux, je suis conscient d'avoir aussi risqué le tribunal des kiriahs.

— Je te mentirai en te disant le contraire, donc nous sommes d'accord.

— Vas-tu partir maintenant la sauver ? suggéra-t-il.

Rassuré par la conclusion, il revenait sur Flore. À sa grande surprise, Ixli répliqua avec une autre question à laquelle il ne s'attendait pas :

— Que sais-tu de l'Entre-Deux monde ?

Sur le point de rappeler les priorités à sa tante, il se mordit les lèvres afin d'empêcher les mots de sortir de sa bouche. Les remontrances professées par l'uriahmi sur la conduite à tenir venaient de surgir dans sa tête. Malgré son impatience, il rétorqua avec calme :

— Ce qu'on a appris en cours, le lieu où nous « voyageons » quand nous dormons, ou si nous avons perdu connaissance. Les guérisseurs n'hésitent pas à soigner dans cet endroit, si nécessaire. Je ne comprends pas comment j'ai pu m'y retrouver.

— Tu as essayé de contacter ta sœur avec ce diadème de travail, sans même posséder le kiriah de communication longue distance, et ton esprit a été happé.

— J'ai observé les kiriahnis qui s'entraînent pour devenir maîtres, se défendit-il. À la fin de leur enseignement, ils seront capables d'activer tous les pouvoirs.

— Jeune apprenti, tu t'es lancé dans un exercice sans supervision, se pratiquant après plusieurs années d'expérience, soupira l'uriahmi. Avec cette formation sauvage, tu ne pouvais pas appréhender ta situation.

— Si tu n'étais pas intervenue, je serais mort égaré dans l'Entre-Deux monde, confirma-t-il, répétant la terrible sentence qu'elle avait énoncée plus tôt. Il m'en reste une impression de ténèbres glaciales dans lesquelles j'étais incapable de bouger, d'atteindre les lumières au loin.

— C'est déjà un souvenir. Sans entraînement dans un uriah, un visiteur oublie, comme pour un rêve lorsque tu te réveilles le matin. En revanche, un kiriahni confirmé se le remémorera.

— Comment en revenir ? Comment s'y déplacer ? D'ailleurs, comment m'as-tu trouvé ?

— Une question à la fois ! gronda Ixli. Tes parents m'avaient prévenue de ta réaction après la décision du Conseil, et je t'ai surveillé régulièrement. Quand ton esprit a hurlé dans la nuit, je me suis douté de ce qui t'arrivait.

Sojeyn se rendit compte combien sa famille avait pris soin de lui, tout en respectant son intimité. Il suffisait de percevoir les émotions non contrôlées sans enfreindre les Principes. Un jeu d'enfant pour une uriahmi. Il n'allait pas se plaindre de cette attitude et écouta la suite de ses explications.

— Pour répondre à ta première question, une connexion mentale avec un kiriahni dans le monde des Vivants permet de revenir. Je l'ai effectuée en urgence avec toi. Quant à la seconde question, tu te focalises sur la personne et te déplaces à l'intérieur de son univers.

— Flore rêve de ce voile noir ?

L'étrange vide spatial autour du lit de sa sœur surgit en force dans sa tête, et un frisson le parcourut, comme si la glace de l'Entre-Deux monde l'enserrait de nouveau entre ses griffes.

— Non, rétorqua sa tante. Cela concerne ceux qui sont inanimés ou dans le coma. Avec un dormeur, tu évoluerais dans son rêve.

— Il me semble qu'elle voulait me saisir la main pour me guider, souffla-t-il, le front plissé à force de se concentrer sur son « voyage », à en extirper de vagues images.

— Je suis impressionnée par tes souvenirs. Lors de ta prochaine visite, tu n'oublieras pas. En plus de risquer de se perdre, le deuxième danger est de se noyer dans le rêve de la personne, de se confondre avec elle. Ta propre identité se dissoudrait et le contact avec le monde des Vivants ne t'apporterait aucune aide.

— On ne peut pas toucher le dormeur ?

— Sans expérience, non. Y résister s'avère difficile, comme tu l'as remarqué. Un kiriahni fixe son esprit sur lui-même afin de l'éviter. Bien, tu en sais assez, allons soigner ta sœur.

La mâchoire de Sojeyn se décrocha à l'ankyloser et ses yeux s'arrondirent. Avait-il bien entendu son ordre ?

— Nous ? balbutia-t-il, son cœur battant la chamade, tant il craignait se tromper.

— Oui, nous ! Je ne connais pas le problème de Flore, ton kiriah de guérison m'aidera. Un maître ou un uriahmi parvient à prodiguer des soins sans ce pouvoir psychique s'il est dans l'Entre-Deux monde, mais cela nécessite plus d'efforts, de temps. Bien sûr, je ne t'oblige pas. Certains kiriahnis refusent à tout jamais après leur premier voyage, souvent éprouvant.

— Je veux venir ! Je suivrai tes instructions à la lettre. Qui sera notre point d'ancrage dans le monde des Vivants ?

— Je n'en espérais pas moins de toi, approuva Ixli. Change-toi au plus vite et rejoins-moi dans ton salon.

À peine ces mots prononcés, qu'elle disparaissait. Tandis que l'adolescent remplaçait ses vêtements fripés par sa nuit agitée, il réfléchit à cette soudaine annonce. Que s'était-il passé ? À son retour de l'Entre-Deux monde, sa tante l'avait traité d'apprenti indigne, de voleur même ; maintenant, elle l'emmenait. Puis la lumière se fit jour dans son esprit : elle avait toujours eu cette intention ! D'où ce petit cours afin de le préparer, sans le lui avouer.

Voilà pourquoi elle a esquivé mes questions sur le sauvetage de Flore.

Un sourire flotta sur ses lèvres, Ixli le connaissait bien. Sitôt remis sur le bon chemin, elle pouvait compter sur lui pour des aventures téméraires. Sous son contrôle. Elle lui prouvait de nouveau qu'il aurait dû l'impliquer.

J'ai compris la leçon, ma tante.