Chapitre 11 - Changement d'avenir (Partie 3)

293 66 119
                                    

Tandis que tous se reposaient après une journée de formation, Sojeyn se dirigeait vers le bâtiment principal de l'uriah. En se faufilant parmi les ombres du parc. S'il n'était pas fier de ce qu'il allait accomplir, il n'avait pas tergiversé longtemps. Le silence de sa sœur et la décision du Conseil le matin même pesaient trop sur ses épaules, au point de commettre un acte que le tribunal des pouvoirs psychiques réprouverait.

Personne ne le découvrira, et je dois parler à Flore au plus vite, grommela-t-il.

Sitôt parvenu à proximité de l'aile réservée à l'enseignement, il se téléporta dans une des salles du second étage. Celle qui contenait le matériel, utilisé par les apprentis sous surveillance stricte.

Les diadèmes !

Le cœur de l'adolescent frappa aussitôt contre sa poitrine, et une voix se manifesta dans sa tête, comme si tous les deux à l'unisson tentaient de l'arrêter. Mais il les rejeta avec hargne : il ne changerait pas d'avis aussi près du but. Pas juste pour un emprunt. Dès qu'il aurait contacté sa sœur, il le remettrait à sa place.

Sojeyn rejoignit sans hésiter une armoire, malgré l'obscurité, tant il était habitué aux lieux. Quand son esprit se projeta au travers de la porte en bois, il se connecta vite avec une des perles. Et le premier sourire depuis le verdict du Conseil étira ses lèvres. Le réchauffa, le rassura.

Oui, c'est la meilleure chose à faire.

La seconde suivante, l'objet de sa convoitise reposait sur une paume grande ouverte. Cette fois, la joie accéléra son rythme cardiaque alors que ses doigts reconnaissaient les contours familiers du diadème avec sa perle.

Son précieux trésor serré contre sa poitrine, il se dématérialisa.


Le lendemain, en fin d'après-midi, Sojeyn s'assit dans son jardin à la recherche d'un peu de chaleur pour son corps frigorifié. Il était épuisé d'avoir essayé et essayé d'appeler sa sœur avec le diadème d'apprenti.

Même s'il ne possédait pas la capacité de télécommunication à longue distance, il avait espéré grâce à la puissance de ses kiriahs l'alerter afin qu'elle le contacte. Il s'y était consacré le reste de la nuit dès son retour dans son pavillon, puis à chaque instant libre entre ses cours.

Hélas, ses tentatives s'étaient soldées par un échec. Le bref moment de joie quand il avait réussi à s'emparer du diadème s'était volatilisé, remplacé de nouveau par un profond désarroi.

Il repoussa la pile de fougals, dont l'odeur sucrée l'écœurait, et ignora la voix de son maître dans sa tête. Elle lui répétait combien se nourrir était capital pour compenser l'énergie perdue lors de l'activation d'un pouvoir. Pourtant il n'avait pas faim. Tout ce qu'il désirait était de joindre sa sœur.

Pourquoi, Flore ? Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? se plaignit-il à nouveau.

Désemparé, il ressassa une nouvelle fois la séance du Conseil puis sa discussion avec ses parents, comme si l'un ou l'autre lui apporterait un début d'explication. Mais seule une douleur sourde, tel un couteau, plongeait dans son cœur en guise de réponse.

Un bruit, qui lui semblait provenir de très loin, l'arracha à ses sombres pensées. Bien qu'il écoutât avec attention, aucun son ne lui parvenait aux oreilles hormis le chant des oiseaux. Il avait dû rêver.

Cela a eu le mérite de me ramener à la réalité. Je vais tenter de contacter Flore encore une fois.

À l'instant où il se levait, la musique à l'entrée de son pavillon retentit. Il connaissait maintenant l'origine du bruit.

Sojeyn se connecta à la sphère de contrôle, et l'image de l'importun lui apparut dans son esprit. Celle d'un Tojian, au corps tendu, trépignant d'impatience. Avec une grimace agacée, il désactiva le rideau psychique opaque qui constituait la porte, puis rejoignit le jeune noble de Borealia dans son salon. Il réussit toutefois à l'accueillir avec calme :

— Bonjour, que se passe-t-il ?

— Tu le sais parfaitement, allégua celui-ci sans prendre la peine de le saluer.

Les reflets vert foncé de sa chevelure et l'agressivité dans sa voix firent reculer le prince.

— Absolument pas, protesta-t-il. Explique-moi.

Mais au lieu de lui fournir une raison, Tojian le dévisagea tel un prédateur à l'affût du meilleur moment pour lui bondir dessus. Habitué à ces joutes avec lui, l'adolescent ne céda pas d'un pouce et renvoya un regard froid. Ils s'affrontèrent en silence, jusqu'à ce que son cousin l'attaque :

— Que ressens-tu, prince Sojeyn, l'héritier du trône, après avoir spolié Flore de ses droits ? De la culpabilité ou de la joie ?

— Ce sujet ne te concerne en rien. Si tu es venu pour m'insulter, tu peux repartir. Je ne te retiens pas !

— Ta sœur se trouve entre les mains des Imlayas ou a disparu, et ta réaction est... de rejeter ses amis !

L'adolescent réprima une répartie cinglante en se pinçant les lèvres. Envenimer la situation ne l'aiderait pas, et sa liste de soucis lui suffisait déjà.

Aucune envie d'y ajouter le nom de Tojian.

— Je t'ai sous-estimé, accusa son cousin avec hargne. Sous l'apparence d'un amour fraternel, tu complotais contre Flore dans le but de lui voler sa place. Pourtant l'évidence me crevait les yeux. Avec ta manière de te vêtir et tes cheveux longs, tu appliques une coutume ancestrale des chefs des doryaums et de leur héritier afin d'être identifiable par un peuple dénué de pouvoirs psychiques.

— Je te reconnais à analyser les évènements à ta façon, alors que tu n'as pas la moindre idée de ce qui se passe ! Des raisons, comme des conséquences.

— Ne me prends pas pour un imbécile ! Tu parviens à tromper ta famille et tes amis, mais pas moi. Tu t'es servi de la vision de ta sœur, tu l'as précipitée dans cette voie insensée, tu...

— Faux ! Flore a décidé en son âme et conscience. Je la soutiens, car je crois en sa prémonition.

— Tu mens ! cria Tojian. Elle a toujours respecté son devoir avant toute chose et n'agirait certainement pas ainsi d'elle-même. Quelqu'un l'a encouragée... Toi !

Un voile rouge flotta devant les prunelles du prince, celui d'une violente colère qui risquait d'emporter sa volonté de rester maître de lui. Il s'obligea à respirer plusieurs fois. Dès qu'un minimum de calme revint en lui, il s'exprima avec dédain.

— Ton opinion m'importe peu.

— À cause de toi, ma mère a convaincu mon père de rompre notre compagnonnage !

L'adolescent ne se défendit pas, demeurant silencieux. Tojian plissa les paupières, il comprenait sûrement que Sojeyn approuvait la rupture.

— Tout est de ta faute, imposteur ! cracha-t-il enfin. Jamais je ne te pardonnerai. Quand Flore sera de retour parmi nous, je l'aiderai à reprendre sa vraie place. Celle d'héritière du trône ! Et je n'aurais de cesse que tu sois écarté du Conseil.

Un halo de rage enveloppait le jeune noble de Borealia lorsqu'il le quitta. Le prince ne réprouvait pas la colère de Tojian ni son désir de rétablir l'ordre précédent, puisque lui-même ne voulait pas de ce changement.

Des tremblements parcoururent son corps.

Grande sœur, t'ai-je vraiment poussé comme il me le reproche ? s'angoissa-t-il, incapable de bloquer ses idées noires. Aurais-je dû agir autrement ? Est-ce que nos actes amèneront la vision à se réaliser ou nous sauveront-ils ? Flore, où es-tu ? Je suis perdu, j'ai tant besoin de te parler.

Un nœud grossit dans son ventre tandis que le poids de la culpabilité voûtait ses épaules. Sojeyn se rendit dans la chambre, où il se glissa en boule sous les couvertures de son lit. Après avoir occulté à moitié les fenêtres par la pensée, l'adolescent serra avec force le diadème d'apprenti contre sa poitrine.

Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant