Chapitre 56.

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Peter est toujours à côté d'Inès. J'attrape un mug et prépare un thé sucré.

- Tiens, Chica ! Bois ce thé, je l'ai fortement sucré mais vu que tu n'a rien avalé, ça ne peut que te faire du bien.

- Merci, dit-elle en enveloppant la tasse de ses mains fines. Comment va-t-il ?

- Ne t'inquiète pas. Il est comme tout le monde, choqué. Il se sent mal. Mais il est prêt à entendre la suite. Et toi, est-ce que tu te sens capable de continuer ?

- Oui. Je me reposerai après... Vont-ils tenir ? demande t- elle en regardant Tom et Matt.

- Ils redoutent, mais ils tiendront. Ils aiment Ellie. Ils veulent savoir pour pouvoir l'aider. Bois ce thé. Tout de suite, menacé-je. Sinon, je dis stop.

- Oui, s'incline-t-elle en avalant une gorgée. Dis-leur que je suis prête.

- Non. Attends, dit Marc qui s'est approché, penaud. Cinq minutes. Je m'excuse... J'ai pu te donner l'impression que j'étais en colère contre toi. Ce n'est pas le cas. Comment le pourrais- je ?
Damien a raison, prends des forces et continue. Tu es dans le vrai, ça a suffisamment duré.

-Tu es comme elle, si gentil. Elle a été là, tout le temps.

- Alors, continue. Parle-moi d'elle.

- Emma est revenue avec moi. Elle était enceinte, reprend-elle une fois tout le monde installé. Son comportement à lui était différent. Il la protégeait, se mettait en colère si elle portait quoi que ce soit. Il vivait quasiment tout le temps avec nous, Emma avait beaucoup de mal à le supporter.

- Il ne la touchait plus ? demande Peter se faisant je pense le porte-parole de tous.

- Non.

- Et vous ? insiste-t-il.

- Il ne m'a jamais touchée. Même après.

- Avez- vous vu un médecin ? Pour Emma ?

- Non. Plus on arrivait au moment de l'accouchement, plus il était agressif et plus Emma avait peur. De la naissance, mais aussi de la suite. Elle a profité d'une de ses rares absences pour me faire promettre de veiller sur le bébé. Quoi qu'il arrive !
Après la naissance, il est parti avec Emma et le nourrisson. Je suis restée seule pendant un mois. Je ne le voyais qu'au moment où il m'amenait le repas. Il ne répondait à aucune de mes questions sur leur état de santé.
Emma est revenue mais seule, sans le bébé.
Il m'a demandée de le suivre. Mon nouveau rôle était de m'occuper de la petite. J'ai refusé. Il a été clair. C'était moi qui gérerais le bébé. Personne d'autre, ni le bébé ni Emma n'auraient à manger tant que je n'obéirais pas. J'ai obéi, avoue-t-elle dans un souffle. A partir de ce moment là, j'ai vécu seule avec lui et Ellie.

- Elle était comment, bébé ? demande Matt, qui se tend vers elle, à l'affût du moindre renseignement.

- Elle était souriante, au début.

- Pourquoi au début ? Il lui a fait mal ? réagit-il immédiatement.

Sa voix est froide de rage contenue, ses poings serrés.

- Non. Il a juste décidé que je n'avais pas le droit de lui parler, de sourire, de chanter. Lui, seul pouvait lui parler. Il jouait avec elle.

- Mais comment faisiez-vous ? l'interroge encore Matt.

- J'ai chanté une fois, machinalement, en la changeant. Il s'est mis en colère, m'a corrigée. Et pour être sûr de mon obéissance, j'ai dû m'occuper d'elle pendant plusieurs semaines avec un bâillon. Elle avait presque deux ans. Elle a vite compris. Nous parlions avec nos yeux.

- Putain ! s'énerve Matt, hors de lui. Si vous trouvez celui qui l'a tué, je le bénirai. Mon bébé...

Matt est en larmes, Tom le serre dans les bras, dans le même état.
Je vois Marc frémir, il commence à réagir, mais, à la différence des autres, il ne sait pas que le bébé de sa sœur est dans la maison.
Inès est figée dans la même position, comme si elle était sur pause. Je réalise que quand elle aura fini, elle n'aura plus rien pour se raccrocher.

- Et Emma ? Tu la voyais ? questionne Marc, toujours centré sur sa sœur.

- Non. Il ne voulait pas. Il la nourrissait, je le voyais faire.

- Elle était seule tout le temps ? s'inquiète-t-il une fois encore.

- Je lui ai demandé, je l'ai supplié de la voir. Il a accepté... à ses conditions. Je verrai Emma une heure. En échange je devrais lui obéir intégralement quoiqu'il exige. Une heure avec elle, une semaine d'obéissance.
J'ai vu ta sœur dix heures, précise-t-elle. Marc, elle ne parlait pas, restait prostrée. Moi, je devais subir ses exigences.

- Alors tu l'as abandonnée ! conclut-il .

- Comment tu peux lui dire ça ? Elle était seule elle aussi, bordel ! hurlé-je. À sa merci.

- Tu as raison, Marc, continue Inès sans s'occuper de moi. J'ai compris que si je ne trouvais pas une solution, elle allait mourir ou devenir folle.
Je devais faire tout pour sauver Ellie. Je lui ai dit que je ne voulais plus voir Emma. Il m'a dit que lui ne voulait pas rompre le contrat. Il nourrissait Emma, moi j'étais à lui. Il adorait cela, c'était évident. Je ne pouvais rien faire, il le savait.
Ellie grandissait. Elle adaptait son comportement. Avec moi, elle ne disait rien, mais avec lui, elle rigolait, parlait, posait des questions.

- Elle parlait ? demande Matt. Elle parlait ?

- Oh oui ! Tout le temps, elle lui parlait. Elle était une petite fille pleine de joie avec lui.

Matt se lève d'un coup et donne un grand coup de pied dans la table basse, envoyant valser les tasses dans un fracas assourdissant.
Inès sursaute, et se recroqueville immédiatement en gémissant.

Tom attrape Matt par le bras et le sort de la pièce.
Marc est immobile, silencieux. Peter a l'air d'hésiter sur ce qu'il doit faire et il finit par s'asseoir une fois encore à côté d'Inès. Il lui prend doucement la main.

- Excusez-le ! Lilou est tout pour eux. Il a mal réagi car depuis qu'il l'a trouvée, elle n'a pas dit un mot.
Elle comprend mais pas un son ne sort de sa bouche.

- Elle ne parle pas ? Mon Dieu mais pourquoi ?

- Je ne sais pas. Vous êtes très courageuse, Inès. Vous devriez faire une pause. Prendre l'air ?
Je vous accompagne si vous voulez .

- Non, Non. Je ne supporterais pas de la voir. Excusez-moi. Allez voir vos amis.

Je me rapproche à mon tour, la prends dans mes bras pour la poser sur mes genoux. Aussitôt, comme si son corps me reconnaissait, elle se blottit contre moi. Je ne dis rien. Elle a juste besoin d'être là.

***

(Matt)

Je sors comme un dément dehors, Tom à ma suite, traversant la cuisine sans un mot. Je n'arrive plus à respirer, j'ai l'impression d'être en apnée depuis qu'elle a commencé à parler de Lilou.
Je m'attendais à souffrir, mais je suis loin du compte. Cette femme est une survivante. Elle a une force incroyable, elle a tout donné pour la petite. Quoi qu'il arrive, elle ne peut que faire partie de sa vie. Les séparer serait inhumain.
Mais je ne veux pas envisager une séparation. Nous avons besoin tous d'être ensemble, autour d'Ellie- Lilou, qu' importe son nom.

Petite Ellie. Where stories live. Discover now