— Clara, qui m'a prévenue de votre visite, s'excuse de ne pouvoir être présente. Son agenda est fort chargé.

— C'est ce que j'ai cru comprendre, souris-je alors que la gouvernante me débarrasse de mon manteau qu'elle range dans un petit vestiaire près de la porte d'entrée.

— Une demande en mariage doit avoir lieu dans cette propriété samedi soir. Le plan est ambitieux : tout le rez-de-chaussée doit être paré de fleurs, ainsi que la tente de réception chauffée qui sera dressée dans le jardin pour l'occasion.

Je hoche la tête, prenant conscience de l'ampleur de la tâche qui pourrait m'attendre si j'acceptais le projet.

— Puis-je vous proposer une collation avant d'entreprendre la visite des pièces qui nous intéressent ?

— Ça ira, merci.

La gouvernante ne perd pas temps et me guide à travers le rez-de-chaussée. Mes doigts effleurent délicatement le bois poli des meubles anciens. Le salon et le petit salon baignent sous un éclairage doux, révélant des tapis moelleux et des peintures impressionnistes qui ornent les murs. Les grandes fenêtres de la salle à manger et de la cuisine permettent d'avoir une vue plongeante sur les jardins entretenus, créant une harmonie parfaite entre l'intérieur simple mais recherché et la nature luxuriante à l'extérieur. Chaque pièce, aux murs clairs, semble raconter une histoire, témoignant du raffinement et de la grâce qui imprègnent cet espace hors du temps.

— Une décoratrice d'intérieur a été missionnée par les soins de Clara. Elle prendra le relais une fois que les fleurs seront livrées. Ses maquettes vous seront transmises par mail, si vous acceptez de collaborer avec nous.

Je note que Madame Delaney ne cite jamais le propriétaire de la maison dont je n'aperçois aucune photo sur les murs ou sur les meubles. Le lieu est chaleureux, mais il ne révèle aucune information pertinente sur le détenteur du bien. Je n'y remarque aucun trophée, aucune médaille alors que d'après mes recherches, le XV du Trèfle a réalisé le grand chelem au dernier tournoi des Six Nations. Et je ne vois même pas un ballon de rugby à l'horizon. Colm a tout faux !

— J'ai conscience que l'ampleur de la tâche est immense. Nous n'avons que quatre jours pour acheminer des milliers de fleurs fraîches et réaliser les compositions florales.

— C'est très court.

— J'ai cru comprendre que vous gérez May's Flowers avec Mary Campbell, votre grand-mère et que vous employez deux salariés.

— En effet. Notre carnet de commandes ne désemplit pas. Comme je l'ai expliqué à Clara, je peux tout à fait vous mettre en relation avec des fleuristes qui ont l'habitude de travailler sur des projets d'envergure dans l'urgence.

— May's Flowers est une entreprise familiale qui a fait ses preuves. Dans le cas contraire, jamais la ville n'aurait signé un contrat avec votre fleuristerie.

— Le contrat débutera l'année prochaine. Ce qui nous laisse le temps de recruter deux nouveaux salariés.

— N'ayez crainte pour la main-d'œuvre. De merveilleuses petites mains travailleront à nos côtés pour que tout soit parfait samedi.

Je sors ma tablette de mon sac. J'ai bossé mon sujet durant l'après-midi en ayant découvert qu'après sa visite, Clara m'avait envoyé un mail via le site Internet de la boutique. Elle y notifiait que les fleurs prédominantes dans les compositions devaient être des amaryllis, des lys et des roses.

— J'ai pris contact avec mes fournisseurs. Trois mille fleurs peuvent être spécialement acheminées pour l'évènement, après-demain.

— Jeudi donc, souligne Mme Delaney qui m'écoute avec une grande attention. Il nous en faudrait deux milles de plus.

Rien que ça.

J'ai envie de répondre à la gouvernante que je n'ai rien en commun avec Samantha de Ma sorcière bien-aimée. Je n'ai pas la possibilité de faire apparaître deux mille fleurs supplémentaires en claquant des doigts ou en agitant mon nez.

— Je travaille un peu à l'aveugle, déclaré-je poliment. Je n'ai pas de documents ou de maquettes de la décoratrice d'intérieur pour juger au mieux de la situation.

— Tout est confidentiel. Nous ne pouvons pas faire filtrer trop d'informations tant que vous n'avez pas signé de contrat de confidentialité. Il devrait arriver en fin de journée. Des avocats y travaillent.

— Je comprends. Mais, le nombre de fleurs indispensables pour un évènement comme le vôtre dépend de divers facteurs tels que la taille exacte des salles, le style de décoration, et la conception souhaitée. Que voulez-vous ? Une décoration impactante ? Ou plutôt douce et légère ? Des centaines voire des milliers de fleurs peuvent être nécessaires pour orner les tables, les murs, les arches, s'il il y en a et d'autres espaces comme une allée ou la tente que vous érigerez dans le jardin. Je peux essayer d'adapter la quantité de fleurs en fonction de vos préférences et du style de l'événement, mais il me faut plus d'informations. Mes fournisseurs ne se contentent pas de « fourchette » pour travailler. Ils ont besoin de chiffres précis pour constituer les stocks et gérer au mieux la conservation des fleurs pendant le transport.

Madame Delaney se redresse en pinçant la bouche.

— Vous avez raison, Madame Campbell.

— Appelez-moi, Juliette, souris-je. Puis-je ? demandé-je en montrant les portes de la salle à manger qui donne sur le jardin.

— Faîtes-donc. Je vous apporte immédiatement les mesures des pièces et les grands axes de réflexions de la décoratrice d'intérieur. Pour ce qui est des détails...

— J'ai compris. Je n'y aurais accès qu'une fois le contrat de confidentialité signé.

Mme Delaney acquiesce sensiblement de la tête et disparaît quelques minutes me laissant dans le jardin sous l'œil vigilant d'un garde qui veille à distance.

Tandis que je prends connaissance des extérieurs, un individu apparaît à travers une fenêtre ouverte du premier étage de la maison. Ses cheveux blonds et ses yeux pétillants captent instantanément mon attention.

— Madame Juliette Campbell, dit-il amusé.

Je le reconnais immédiatement.

Le jeune homme, visiblement sorti de la douche, est torse nu. Sa décontraction me divertit même si je détourne le regard, gênée, pour qu'il ne pense pas que je le mate.

Ce qui est sûr, c'est qu'il n'a pas l'air pudique.

— Je suppose que personne n'a prononcé mon nom ? lance-t-il un large sourire aux lèvres.

— En effet, monsieur Thompson.

— Il est top secret ! s'exclame-t-il sans se départir de sa bonne humeur. Pouvez-vous patienter quelques instants avant que je ne vous rejoigne ? L'évènement si confidentiel est une demande en fiançailles...

— C'est ce que j'ai cru comprendre !

— Oh ! Vous avez réussi à tirer les vers du nez aux tortionnaires à mon service ? plaisante-t-il.

— Pas vraiment !

— Mon futur beau-frère est prêt à se faire passer la corde au cou en demandant ma sœur en mariage. C'est la famille ! Je me sens concerné, vous comprenez ?

J'approuve en serrant ma tablette contre ma poitrine. En une minute, il m'en a déjà plus dit que son assistante et sa gouvernante.

La vision, très agréable, d'Andrew me ferait presque oublier qu'il fait froid et que je frissonne sans ma veste.

— Je vais vous attendre à l'intérieur, fais-je savoir.

— Je me dépêche !

Son regard magnétique et sa voix assurée font presque vaciller mes hésitations. Je me surprends à voir la balance pencher en sa faveur avant de retrouver mes esprits en entrant dans la maison. Je suis une professionnelle, non ? Je ne vais quand même pas me laisser influencer par une belle gueule, si ?

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