21.

42 2 0
                                    

Kae Stone

Ma main serrant la poignée de cette porte froide, j'hésite. Mon cœur a envie de la voir, de se rassurer qu'elle va mieux mais mon cerveau tourne en boucle avec cette foutue méfiance qui me colle à la peau depuis que j'ai connu la face sombre de l'être humain. Des masques, nous portons tous des foutus masques pour nous fondre dans la masse, pour acquérir du pouvoir, être craint ou être adulé. Ces masques que la société nous fait fabriquer méticuleusement, pièce par pièce pour ne pas être jugés. J'ai peur qu'elle aussi en porte un, mais pas ces masques qui recherche juste la paix plutôt les plus sournois, ceux destinés à faire souffrir les autres.

La poignée bouge et je reprends contenance. Je me dirige vers la balustrade s'étirant à quelques mètres de la porte. Cette journée est merdique comme tous ses prédécesseurs d'ailleurs. Il est seize heures pourtant le ciel semble si obscur, dénué de toute clarté du soleil tombant. De l'aurore. Une légère brise caresse ma peau et je prends un grand bol d'air en entendant les pas de ma sœur se rapprocher.

- Oh! Kae ! dit elle avec sarcasme en gigotant exagérément.

Elle est en colère, mais je ne peux que l'observer se décharger. Il y a tellement de choses que je dois dissimuler, que je me suis prescrit de dissimuler. D'après elle, je n'agis pas comme un être humain, elle dit que l'armée m'a transformée en une machine. Elle a peut-être raison, mon cœur est devenu un masse métallique, froide, sombre.

Après m'avoir assassiné du regard, Gianne croise les bras en me lorgnant méchamment même si je la domine de toute ma hauteur elle qui n'est pas très grande. Elle prend son air mécontent, croise les bras et fronce les sourcils.

- T'es où depuis? Hein? La fille qui est couchée là-bas, lance-t-elle en pointant la porte d'où elle vient du doigt, c'est ma meilleure amie je te signale, celle qui t'a sauvé la vie. Et ça fait presque une semaine qu'elle est dans le coma. Tu n'as même pas été fichu de venir une seule fois pour te rassurer de son état, me crache-t-elle visiblement très remontée contre moi.

Je reste silencieux et j'essaye de paraître détaché de tout ce qu'elle raconte. Je n'ai jamais été quelqu'un de très communicatif, ni d'émotif. Mon niveau d'interaction sociale est très bas. C'est mon choix depuis mon retour de la guerre. Je préfère un cercle restreint de personnes à qui j'accorderai ma confiance plutôt que d'être entouré d'hypocrites. C'est pourquoi j'ai éteint ce côté sociable là de ma personnalité. Ces gens que j'appelais amis, coéquipiers m'ont transformé à tout jamais.

Depuis que je suis revenue de l'enfer de la guerre, mon monde a basculé. Je n'arrive plus à ressentir les choses comme avant, ni même à voir la vie comme à cette époque où mon innocence n'avait pas été rageusement salie par des tonnes d'immondices qu'un jeune homme n'est pas sensé vivre ou voir. J'ai l'impression que mon cœur est bloqué, qu'il est défaillant. Cette euphorie démesurée que les autres ressentent pour des choses insignifiantes n'est plus, pour moi. J'essaie juste de faire avec le peu d'émotions qu'il me reste, ce peu de sentiments que je fais l'effort de montrer à ma nièce.

Mais...elle, elle est venue tout chambouler. Moi qui m'étais accommodé à mon état d'insensibilité et de désintérêt pour tout ce qui m'entoure, je me retrouve à faire des discours pour remonter le morale à des gens, je doute de mon instinct, je commence à ressentir des choses.

- J'avais des choses à faire Gianne. Et ne te méprends pas, je lui suis très reconnaissant pour ce qu'elle a fait.

Je me rapproche d'elle l'air grave.

- Je connais tout ce qu'il peut se passer dans cette salle depuis qu'elle y est. C'est ton amie certes mais je ne te permets pas de me faire la morale d'accord? Bouge s'il-te-plaît, je vais la voir, je lui ordonne d'un ton calme.

InfiltréeWhere stories live. Discover now