Infiltrée

8.

                  Susanne Sundfor: Oblivion

Je reprends un dernier verre puis jette un furtif coup d'œil aux tourtereaux qui sont toujours collés l'un à l'autre.

Étape 3: Attirer la/les cibles.

Je retourne vers le groupe et je remarque un garçon qui joue de la guitare. Je vais m'asseoir près de lui et je la lui prête, heureusement il est aimable. Je voulais chanter une ancienne chanson qui me tient à cœur.

Les premières notes raisonnent, et je ferme les yeux. Ça fait tellement longtemps que je n'ai plus fait ça. Être authentique, vulnérable... Je souffle et j'y vais.

- Since I was young, I knew I'd find you.
But our love was a song, sung by a dying swan...

J'ai toujours aimé cette chanson, car c'est le générique d'un ancien film qu'on aimait regarder Gigi et moi, Oblivion joué par Tom Cruise. On a toujours été fan de science-fiction. Ça nous permettait de nous évader des grilles de l'orphelinat.

Un jour, Gigi est venue dans ma chambre avec une cassette. Elle m'avait dit l'avoir trouvée dans les ordures. Vu qu'elle était plus grande, elle connaissait les horaires des gardiens. Pendant leur pause, on s'est introduites dans leur salle de détente et nous avons mis le DVD et c'est ce film qui avait survécu parmi tous les autres. Même si quelques fois il s'arrêtait, et même si on ne l'avait pas vu en entier, j'étais très heureuse de partager ce moment avec Gigi. Les jours après, on chantonnait toujours ce générique lorsqu'on jouait.

Mine de rien, maintenant que je la chante une nouvelle fois, après plusieurs années, les paroles me transpercent de toute part comme des dagues invisibles. J'ai l'affreuse impression qu'elle décrit tout ce que je ressens depuis que j'ai été séparée d'elle.

Une fois la chanson finie, je continue à faire un solo avec la guitare. Puis, je lève la tête et tout le monde me regarde avec des yeux ronds, stupéfaits. Ceux qui étaient éloignés, sont venus se placer autour du feu avec nous. Je ne m'en suis même pas rendue compte car, j'étais encore remplie par l'euphorie que me procurent ces souvenirs. C'est de cette façon que Gigi me regardait parce que selon elle, j'ai une voix angélique.

Quelle ironie! Je n'ai rien d'un ange. Si c'était le cas, j'aurai été un ange déchu.

- Waouh! Erinn quelle voix de... waouh ! J'ai pas les mots.

Chloé se jette sur moi, et me colle comme une sangsue. Je lui fais un sourire timide et range une mèche rebelle derrière mon oreille. Je n'oublie pas pourquoi j'ai fait ça et je me mets à chercher Kae du regard mais je ne le vois nulle part. Ça me met en rogne sur le moment, j'ai envie de balancer cette guitare dans le feu. Cependant, je ne peux le faire. J'inspire et j'expire plusieurs fois pour faire redescendre la colère.

Néanmoins pensai-je, j'ai impressionné d'autres personnes.

Le reste de la soirée, d'autres jeunes viennent se présenter à moi et me félicitent pour mon interprétation. Le joueur de guitare ne me quitte pas d'une semelle. Il est plutôt beau gosse. Un blond aux yeux bleus, athlétique aux allures de surfer. J'ai l'impression que tous les joueurs de guitare beaux gosses ont des allures de surfer. Il essaie de me faire rire, au moins je pense à autre chose qu'à l'échec cuisant que Kae vient de m'infliger sans s'en rendre compte.

Je n'ai jamais ressenti ça, je n'ai jamais échoué à un objectif que je me suis fixée. L'amertume me submerge et je n'ai plus goût à rien, ni à la compagnie du beau blond qui s'appelle Saige, ni de rester plus longtemps à cette fête. Je lui dis au revoir, mais il insiste pour qu'on se revoit. Pour me débarrasser lui, je lui donne mes coordonnées. Il pourra venir me voir au travail si il y tient. Ensuite, je préviens Chloé que je m'en vais et j'ai pris la route après ces politesses.