64 - Folie (2/2)

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Le prince se tourna vers les courtisans qui gardaient une distance respectueuse avec le trône – grand bien leur en faisait.

— Sortez ! ordonna-t-il sèchement.

Trop pressés de quitter ce lieu empestant la folie et le sang, ils disparurent tous à grand train, dans un léger bruissement d'étoffe, sans que Keishi ne réagisse. Il ne réagit pas plus lorsque des domestiques terrorisés et empressés se hâtèrent d'ouvrir les fenêtres en grand pour laisser entrer la lumière et chasser l'air vicié. C'est à ce moment seulement que l'empereur sembla sortir de sa transe.

Poussant un terrible cri de rage, Keishi donna des coups d'épée à l'aveuglette devant lui, portant un bras à ses yeux pour se cacher de la lumière.

— FERMEZ CES FENÊTRES ! hurla-t-il à pleins poumons.

— Personne ne va les fermer, répliqua Akio de là où il était.

Au son de sa voix, Keishi se figea. S'il ne l'avait pas reconnu physiquement jusqu'ici, il était certain que son identité ne faisait plus aucun doute à présent. Il baissa donc son bras, révélant un visage déformé par la haine.

— Toi ! TOI ! Sale traître ! Traître à ton sang, traître à ton empire ! Traître ! Gardes ! Gardes !

— Personne ne viendra, Keishi, répliqua calmement son frère avec précaution.

Le garde avait raison, l'empereur était devenu fou. Il ne pouvait pas baisser sa garde face à lui, encore moins que d'ordinaire. Par le passé il avait pu avoir confiance en son frère. Aujourd'hui, ce temps était révolu. Le seul obstacle qui les séparait encore était le cadavre refroidissant du soldat éventré.

Écumant de rage, Keishi bondit en avant. Il piétina la dépouille du mort, marcha dans la flaque de sang en éclaboussant une fois de plus ses vêtements, et se rua sur son frère. Akio eut un mouvement de recul et eut tout juste le temps de dégainer son arme pour se protéger que Keishi était sur lui. Ils croisèrent le fer un long moment dans la salle refroidie par le vent d'hiver. Ils étaient seuls, et l'unique perturbation dans l'air venait de leurs épées s'entrechoquant, tandis qu'ils évacuaient une rage trop longtemps contenue.

— Keishi ! intervint enfin Akio après s'être dégagé de l'emprise de son frère. Khoomei et son armée sont aux portes de TianLong. Ils seront là dans moins de deux semaines. Où sont les armées de Drakkon ?

Cependant, l'empereur semblait obnubilé par sa propre colère, le rendant aveugle à tout autre chose.

— C'est toi qui as enlevé Yu ! gronda l'aîné en bondissant à nouveau sur son cadet, son visage à un souffle du sien. Où l'as-tu emmenée ? Où est-elle ? Rend-la moi !

Une fois de plus, la colère força les barrages soignés et méticuleux d'Akio. C'était physique, il n'y pouvait rien, il ne supportait plus d'entendre Keishi parler de la femme qu'ils se disputaient.

— Je ne l'ai pas enlevée, elle s'est enfuie toute seule parce que tu allais la faire exécuter ! Et elle n'a jamais été à toi. Elle ne t'appartient pas plus qu'elle n'est à moi. Elle revient aux cieux, aux dieux et au dragon !

Les mots le touchant comme autant de poignards acérés, Keishi donna un violent coup d'épée au visage du prince qui eut tout juste le temps d'esquiver, manquant d'un cheveu de finir borgne. À la place, une entaille conséquente apparut en travers de sa joue gauche, déversant une cascade de sang sur son visage. Le jeune homme grimaça à peine. Il avait tant de haine pour ce frère qu'il avait respecté pendant toutes ces années ! Tant de haine amassée en seulement quelques mois où il n'attendait que cela, pouvoir en venir aux armes contre lui. Pourtant, maintenant qu'il y était, il ne voulait qu'une seule chose : y mettre un terme afin qu'ils prennent rapidement les décisions nécessaires à la survie de Drakkon.

Drakkon - I - Le masque du dragonWhere stories live. Discover now