42 - Une prière pour les dieux (2/2)

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Soudain, la porte coulissante de sa chambre s'ouvrit dans un glissement discret, et une tête apparut lentement dans l'ouverture, comme par crainte de représailles, se sachant en faute. Pour autant, lorsque Yu tourna ses yeux gonflés de larmes vers l'impertinente, elle redoubla de pleurs au lieu de s'arrêter, et la femme se précipita sur elle avec un haori d'hiver bleu indigo parsemé de flocons de neige, pour la réchauffer comme elle s'était mise à claquer des dents.

— C'est fini, c'est fini, tout ira bien, tenta de la réconforter la servante en la serrant doucement contre elle pour la bercer et lui frotter le dos.

C'est à ce moment seulement que Yu réalisa que la domestique qui s'occupait d'elle portait sur elle une odeur familière de fleurs de camélia, d'air frais, et de linge propre. Cette voix, ces mains, étaient également familières. Et pour cause, il s'agissait de sa seule amie, l'un de ses rares repères restants : Senlinn. Elle ne savait pas par quel miracle l'ecthrosienne s'était retrouvée à servir au Pavillon d'Argent, mais ses larmes de confusion se transformèrent soudain en larmes de gratitude, et elle se cramponna à son amie avec un regain d'énergie et d'espoir.

— Sen... ! C'est bien toi !

La servante opina légèrement sans dire un mot, émue elle aussi de retrouver sa maîtresse, affligée que cela soit cependant en de telles circonstances. Elle tenta de l'aider à se relever, mais les jambes de la jeune impératrice semblaient aussi fragiles et dépourvues de force que celles d'un agneau nouveau-né.

Une cloche au son clair et profond retentit dans le lointain, et Yu se figea, l'ouïe aux aguets. Le son se répéta, plusieurs fois, et la jeune femme jeta un œil au ciel par la fenêtre ouverte.

— Il faut que j'aille au temple, lâcha-t-elle subitement en se tenant plus vigoureusement sur ses jambes. Sen, aide-moi à m'habiller, s'il te plaît.

La domestique la regarda, bouche bée.

— Vous n'y pensez pas ? Vous êtes fébrile, vous devriez vous reposer. À votre tête, on croirait que vous avez vu un fantôme ! Dame Yu... Pardon, Votre Majesté, vous ne devriez pas quitter le Pavillon d'Argent pour aujourd'hui ; je suis censée vous montrer vos nouveaux quartiers. Sans oublier que vous ne devriez pas vous promener librement de la sorte en dehors du Pavillon d'Argent et du Pavillon Pourpre. On m'a chargé de vous trouver des dames d'honneur expressément aujourd'hui, afin que vous puissiez vous déplacer convenablement dans l'enceinte du palais.

L'ecthrosienne semblait aussi dépassée par les évènements que par la réaction de sa maîtresse. Pourtant, malgré ce qui venait de lui arriver, cette dernière semblait déterminée lorsqu'elle planta son regard de jade dans le sien.

— Mes masques sont là pour cacher les états d'âme que je ne peux dissimuler moi-même. Pour Drakkon, je ne serai rien de plus que l'Impératrice Masquée, tout comme je fus autrefois la Dame de ZhiLan. Tout le reste peut être remis à plus tard, Sen, mais on ne fait pas attendre les dieux. Maintenant, aide-moi, s'il te plaît.

Bien qu'à contrecœur, la domestique s'exécuta après s'être inclinée. Elle connaissait Yu depuis son arrivée dans la capitale. Elle avait rapidement cerné cette jeune femme orpheline au cœur ouvert et à l'âme claire et fragile, insouciante et naïve comme une enfant, timide et maladroite. Mais voilà qu'elle était impératrice, et elle avait déjà beaucoup changé. Elle s'était raffermie dans son caractère, avait cessé de rire pour un rien, se contentait de sourire derrière un éventail, et ne courait plus partout. Malheureusement, son cœur était resté aussi juvénile et sans défense qu'au premier jour de son entrée au palais, et cela ne présageait que du désespoir et du chagrin. Senlinn, à ce constat, réalisa qu'elle préférait la Dame HuaYu d'avant, celle pour laquelle elle s'inquiétait sans cesse mais qui s'émerveillait de tout, non pas celle pour laquelle elle éprouvait de la pitié parce qu'elle partageait sa peine et son désarroi.

Drakkon - I - Le masque du dragonWhere stories live. Discover now