Drakkon - I - Le masque du dragon

53 - Le regard des dieux (2/2)

Le jeune homme garda le silence un moment, fixant Yu dans les yeux sans jamais ciller.

— Je ne mettrai pas ta parole en doute. Je suis convaincu que la voix des dieux t'est plus familière qu'à moi. Je ne doute pas non plus qu'ils aient des desseins à ton égard. S'ils n'en avaient pas eu, tu n'aurais pas vécu, malédiction ou non.

Ces mots troublèrent Yu. Elle s'était longtemps convaincue de cela pour justifier le fait qu'elle fut encore en vie. L'entendre dans la bouche d'Akio rendait cette vérité d'autant plus inviolable. Ainsi, elle avait raison, les dieux l'avaient aidée à fuir le palais dans un but précis. Cependant, elle doutait que ce ne fut que pour retrouver Akio. Et bhikkhu Tôgo semblait avoir quelque chose d'important à leur dire. La volonté des dieux était si difficile à interpréter... Néanmoins, elle devait leur faire confiance et les laisser la guider vers le destin qu'ils lui réservaient.

— Et toi ? Je te croyais à Ecthros pour tuer le roi Khoomei. Ta présence ici signifie-t-elle que notre ennemi est mort ?

Cela permettrait au moins d'apaiser ne serait-ce qu'un peu les tourments de Keishi.

Akio détourna les yeux, passa un bras tendu sur le sommet de son genou replié contre sa poitrine. Il voulait se donner un air décontracté, mais la tension de son corps informa la jeune femme de ce qu'il tentait de dissimuler : son échec.

— Désolé, Yu. Lorsque j'ai appris la nouvelle de ton mariage, je suis rentré à Drakkon sans même en informer mes hommes. J'ignore s'ils ont poursuivi la mission, et encore moins s'ils sont parvenus à la mener à bien. Je suis un lâche.

La jeune impératrice se figea. La réaction d'Akio lorsqu'il avait appris la nouvelle était la plus belle preuve d'amour qu'elle pouvait attendre de lui : il était prêt à la faire passer avant l'empire, prêt à déclencher une terrible guerre pourvu qu'elle fut avec lui.

— Une fois de retour, je n'ai cessé de réfléchir à un plan pour t'arracher à Keishi et nous permettre de fuir loin d'ici, poursuivit-il sans remarquer son trouble. Mais quand j'ai atteint la capitale il y a deux jours, j'ai appris que tu avais été kidnappée. Certainement parce que je ne songeais qu'à te retrouver, j'ai interprété cela comme un signe, que tu avais fui pour venir à ma rencontre. J'ai alors chevauché à bride abattue jusqu'ici, le seul endroit où il me paraissait évident que tu trouverais refuge. La présence de Masao est la preuve que Keishi et lui ont pensé de la même façon.

— J'étais convaincue que, dorénavant, il me faudrait vivre dans la clandestinité, avoua Yu en trifouillant à nouveau dans la neige. Cependant, je ne pouvais pas me résoudre à disparaître sans avoir revu bhikkhu Tôgo une dernière fois.

— C'était téméraire et audacieux de ta part, mais également for louable. On peut dire, d'une certaine façon, que c'était la meilleure chose à faire. Nous aurions peut-être mis des mois à nous retrouver autrement.

Akio faillit ajouter que les dieux veillaient vraiment sur elle, mais c'était faux. S'ils l'avaient protégée, ils ne l'auraient jamais glissée entre les griffes acérées de son frère, pour commencer. Néanmoins, cela signifiait aussi que s'ils avaient voulu lui épargner la présence de Keishi dans sa vie, alors Akio lui-même n'aurait pu la connaître, et cela lui était intolérable.

Yu releva les yeux vers son compagnon. Ce dernier haussa un sourcil en remarquant combien son regard était déterminé.

— Si je comprends bien, tu as déserté. Keishi te fera exécuter de la même façon que moi pour avoir failli à ta mission. Aucun de nous deux ne peut retourner au palais. Que va-t-il advenir de nous ?

Le prince frotta sa barbe, réfléchissant à ce que l'avenir semblait leur réserver.

— Nous trouverons une solution. Il y en a toujours une. Ce qui me préoccupe davantage, c'est la raison pour laquelle, après t'avoir épousée dans mon dos, Keishi cherche à présent à te tuer. Senlinn a laissé entendre que cela remontait à avant ta fuite. Que s'est-il passé ? Je veux que tu me racontes tout ce qui est arrivé depuis mon départ.