22 - Des arts et du sang (2/2)

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L'effet fut immédiat. Elle sentit l'eau s'infiltrer en elle et une violente douleur lui broyer les poumons, tandis qu'elle bondissait à la surface pour respirer en crachant. Elle poussa un cri déchirant en repoussant ses cheveux dans son dos pour pouvoir respirer au mieux, mais elle mit du temps avant de se calmer et de pouvoir retrouver une respiration plus correcte. Néanmoins, le mal était fait, ses poumons étaient en feu et sa gorge déchirée de tousser l'eau qui s'était infiltrée en elle.

Senlinn se précipita dans le bassin toute habillée, sans gêne, affolée.

— Yu ! s'exclama-t-elle, abandonnant tous ses principes d'esclave et de servante.

La maîtresse avait fait d'elle son amie, or actuellement elle n'avait pas besoin de la servante, elle avait besoin de cette amie qu'elle s'était acharnée à aimer et protéger. Elle n'avait pas besoin d'une personne froide qui lui dirait que tout irait bien quand tout allait mal, que le monde était beau alors qu'elle venait de voir à quel point il était sombre et dangereux. Yu avait besoin de Senlinn pour ce qu'elle était, une femme comme les autres, avec des sentiments de compassion et d'amitié.

Senlinn la prit par les épaules et la secoua doucement.

— Yu ! répéta-t-elle. Qu'est-ce qui t'a pris ? Tu voulais mettre fin à tes jours ? Te noyer dans ton bain parce que tu n'as pas supporté le comportement de l'empereur aujourd'hui ? Par tous les dieux, c'est l'empereur !

Yu, trop secouée par ce qu'elle venait de vivre, ne remarqua même pas que sa servante et amie la tutoyait. Elle tremblait, debout dans le bain, nue devant la seule femme qui pouvait comprendre sa situation et sa différence. L'eau lui arrivait à la taille, et ses longs cheveux noirs lui couvraient la poitrine jusqu'au bas-ventre.

— Sors de là, lui demanda gentiment Senlinn, comme elle ne disait rien.

Trempée, ses vêtements dégoulinants, la servante attrapa une grande serviette chaude et moelleuse et en drapa sa maîtresse pour la réchauffer et tenter d'effacer autant que possible de son esprit et de la peau de la jeune femme ce qui venait de se produire.

— Sen, sanglota Yu en serrant la serviette contre elle. Je ne sais plus rien, je suis perdue.

— Qu'est-ce que vous racontez ? marmonna Senlinn en la frottant activement, plus calme.

Yu demeura silencieuse.

— Vous êtes bouleversée, c'est tout. Je vais vous préparer un repas léger et un thé, et vous allez vous reposer sagement ici, d'accord.

Toujours aucune réponse.

Senlinn renonça à faire la conversation, de même qu'elle renonça à rhabiller convenablement la jeune femme qui ne ressortirait probablement pas de la journée. Elle n'était émotionnellement pas assez forte pour le faire immédiatement.

Lorsque Yu fut couverte, Senlinn s'éclipsa pour changer ses vêtements trempés et s'assura que sa maîtresse allait toujours bien avant de se rendre la cuisine. Elle y prépara une bouillie de riz et du thé et revint rapidement dans la pièce à vivre, soupirant de soulagement en constatant que Yu n'avait pas bougé et était toujours bien en vie. Elle fixait le jardin, le regard vide.

La servante posa le plateau juste à côté d'elle, mais tout ce que la jeune femme parvint à faire, ce fut d'attraper la manche de Senlinn pour attirer son attention. Elle la regarda droit dans les yeux, avec ce regard qui n'appartenait qu'à elle.

— Pas un mot de ça à Akio, d'accord ?

— Dame Yu...

— Pas un mot !

Drakkon - I - Le masque du dragonWhere stories live. Discover now