36 - Naïveté (2/2)

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Le prince aida sa protégée à se relever et réarrangea quelques plis de sa robe pour ne rien laisser paraître de sa chute. Puis, il lui prit les mains et l'obligea à le regarder.

— Ne fais pas cette tête, la sermonna-t-il doucement, sa colère enfin calmée. Je sais ce que tu te dis, que c'était une erreur de monter sur mon cheval ce jour-là, mais toi et moi avons fait un choix. Nous faisons tous des choix que nous regretterons un jour, mais il ne faut pas oublier qu'à l'instant où nous les avons faits, ils nous paraissaient bons et justes. Pour réparer ces erreurs, nous n'avons qu'à faire de nouveaux choix, qui viendront corriger les précédents, ou du moins leur donner un autre sens.

— Serait-ce là les mots de Genji, le philosophe ? s'enquit Yu, en reconnaissant des mots qui lui étaient étrangement familiers.

Ce fut au tour d'Akio d'être étonné.

— Tu as lu cet ouvrage également ?

— J'ai beaucoup de temps à perdre dans la journée, et la lecture est un passe-temps fascinant. À quoi bon danser ou chanter, ici ? Je n'ai pas de public, et le seul qui est à ma disposition est celui que je redoute le plus.

— Tu parles de la Cour..., comprit Akio en souriant. Tu peux toujours chanter et danser pour moi, si tu le souhaites. Si Keishi n'y comprend pas grand-chose et n'y porte aucun intérêt, ce n'est pas mon cas.

Pour toute réponse, Yu sourit enfin. Un sourire authentique. Cela suffit au prince pour reprendre les choses en mains. Il redevint très sérieux et, sans lâcher sa main, se dirigea vers la sortie en l'entraînant avec lui. Néanmoins, ils furent rattrapés avant qu'ils ne quittassent le domaine du prince, Senlinn leur courant après avec angoisse, le masque de soie entre ses mains. Yu s'était tant habituée à ne plus le porter au Pavillon du Soleil et de la Lune qu'elle en oubliait que le palais n'avait jamais vu son visage, de même que la plupart des domestiques d'Akio. Ces gens-là étaient très superstitieux, et très peu de domestiques étaient au courant.

Contrainte à de petits pas à cause de ses sandales comme de ses robes envahissantes et trop serrées, la jeune femme peinait à suivre son rythme. Akio avançait à grandes enjambées, d'un pas décidé. Elle ne savait pas trop si elle devait s'inquiéter de cette détermination ou s'en réjouir. Et le fait qu'ils se dirigeaient vers le palais ne favorisait pas une issue positive.

Le prince les mena directement au Pavillon d'Or, et non pas à la salle du trône comme Yu l'avait tout d'abord supposé. On aurait dit qu'Akio savait très bien où trouver son frère à cette heure de la journée, et en l'occurrence il se trouvait dans ses appartements. On les laissa facilement entrer, et Akio se déplaça avec une certaine aisance quand bien même il s'agissait des quartiers de l'empereur.

— C'est Keishi que notre père a élevé, mais c'est mon frère lui-même qui m'emmenait ici quand père n'était pas au palais, expliqua Akio, comme pour se justifier. Il me faisait visiter des pièces dans lesquelles je n'avais jamais été. L'une d'elles, notamment, était sa préférée. Quand quelque chose le tracasse, c'est là-bas qu'il se rend.

Yu ne dit rien. Elle se contenta de suivre le jeune homme, ignorant toujours la raison de leur présence en ces lieux qu'elle allait apprendre à craindre, dorénavant, en raison de ses leçons de naginata.

Enfin, Akio s'arrêta devant une porte ouvragée en bois, couverte d'un taijitu. En dessous, la poignée représentait un dragon enserrant un anneau dans sa gueule. Un dragon gardien.

— Akio, qu'y a-t-il derrière cette porte ? murmura Yu, craintive, en s'accrochant à lui comme une enfant à son père.

— Tu vas vite le savoir...

Drakkon - I - Le masque du dragonWhere stories live. Discover now