30 - Ecthros (2/2)

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— Où sont-ils encore passés ? s'enquit Yu en quittant sa chambre après avoir été habillée.

Cette situation étrange commençait à la rendre nerveuse et irritable. Les deux frères l'évitaient, les dames la jalousaient parce que l'empereur lui avait cédé la chambre du commandant, et elle détestait cette forteresse militaire qui respirait la rigidité, l'énergie solaire, le sang et la violence.

Au sein même de GuoLiang, la tension était à son comble et les soldats, détendus à leur arrivée, étaient à présent sur le qui-vive. Ce matin tout particulièrement, la cité était silencieuse. Les passants chuchotaient et se hâtaient de passer leur chemin tandis que les courtisans restaient cloîtrés chez eux et les soldats bien vigilants à leur poste. On aurait dit que la garde avait été doublée et que la forteresse s'attendait à une attaque ennemie imminente.

Senlinn revint vers sa maîtresse aussi vite que sa jambe blessée le lui permettait.

— Dame Yu ! Ils sont dans les plaines !

— Les plaines ! s'exclama la jeune femme en s'élançant dans les rues.

Elle releva ses robes et courut sur les pavés à s'en rompre le cou, ses sandales claquant sèchement sur la pierre à chacun de ses pas. Les soldats la regardèrent faire avec surprise. Dans la cité presque immobile et sombre, sa course colorée avait quelque chose de surnaturel.

Sans attendre Senlinn, elle gravit les marches qui menaient aux remparts pour fouiller l'horizon du regard. Construite sur le flanc de la montagne, à cet endroit précis, la forteresse jouissait d'une vue imprenable sur le territoire ennemi.

Comprenant certainement ce qui la préoccupait, appuyé sur sa lance dont l'extrémité en bois était callée entre deux pierres, un garde lui désigna un petit nuage de poussière à l'ouest :

— Si vous cherchez l'empereur, lui et ses hommes sont partis avant le lever du soleil. Regardez, ils sont là-bas. On dirait qu'ils reviennent déjà.

Yu voyait effectivement le nuage de poussière, mais ne parvenait à discerner aucune forme. Plus à l'est, d'ailleurs, il y en avait un autre, un nuage couleur ocre, qui s'en allait s'enfoncer plus loin dans les terres d'Ecthros. S'agissait-il du roi Khoomei et de ses hommes ? Keishi était-il parvenu à négocier comme il le souhaitait ?

Lorsque Senlinn la rejoignit enfin, plus aucun des deux nuages n'était visible, et Yu s'apprêtait à redescendre pour attendre le retour des deux hommes.

— Ils vont vous ignorer comme hier, et faire en sorte de ne pas croiser votre route ou votre regard, fit remarquer la servante en clopinant derrière elle.

— Qu'importe, répliqua Yu, déterminée. Si je peux voir leur visage, cela me suffira pour avoir une idée de la situation.

Elle le pensait sincèrement. Elle pensait connaître suffisamment intimement le prince et l'empereur pour jauger d'un regard la situation.

Elle ne fut pas déçue, lorsque les grandes portes s'ouvrirent pour laisser passer le cortège. Tous les soldats et gens de la Cour sortaient de leurs abris pour les accueillir et s'enquérir de la situation, mais Yu n'eut pas besoin de demander. Debout à l'angle d'un bâtiment, plus en haut de la rue pentue, elle voyait très bien à quoi l'ensemble du cortège impérial ressemblait, et surtout, elle vit clairement les expressions faciales de Keishi et Akio.

Keishi était de marbre, comme il savait si bien le faire lorsqu'il voulait cacher des sentiments indignes de lui, tels que la tristesse ou la haine. Quant à Akio, bien que mesuré dans son expression qui se voulait rassurante, il semblait ailleurs. Yu en déduisit qu'ils avaient obtenu ce qu'ils voulaient, mais que le sacrifice de l'empereur pour cela était un couteau dentelé dans la plaie béante de leur cœur. Bien que connaissant peu de choses au sujet d'Ecthros, elle pouvait comprendre et compatir à la haine et la douleur des deux fils de l'empereur Keizô et de son impératrice.

Drakkon - I - Le masque du dragonTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang