Drakkon - I - Le masque du dragon

29 - Ecthros (1/2)

Akio jeta un coup d'œil à son frère, légèrement en avant. Il chevauchait en tête d'un petit cortège militaire à travers les terres arides d'Ecthros, en direction du point de rencontre. Ils pouvaient déjà l'apercevoir de là où ils étaient. C'était un petit avant-poste en ruines, abandonné par les Ecthrosiens plusieurs générations auparavant. Le roi Khoomei devait se trouver là, avec ses hommes. L'usage aurait voulu que sa fille l'accompagnât, mais à moins d'être vraiment stupide, il ne l'avait pas fait.

Le prince était nerveux, et pas seulement à cause de cette rencontre impensable avec leur pire ennemi. Derrière eux, la forteresse de GuoLiang se dressait fièrement sur le flanc de la montagne, et quelque part entre ses murs, Yu déambulait peut-être à leur recherche. Les deux frères l'avaient soigneusement évitée toute la journée durant de la veille, et étaient partis avant le lever du soleil. Ils n'avaient pas parlé de ce qui s'était passé cette nuit-là, et aucun des deux n'avait l'intention de le faire.

— Arrête de t'agiter aussi nerveusement, le sermonna Keishi sans même se retourner vers lui. Tu vas finir par énerver ta monture.

Akio soupira discrètement. Son aîné se comportait avec encore plus de dédain et de détachement que d'ordinaire, mais il ne parvenait pas à en comprendre la cause exacte : était-ce à cause de l'incident avec Yu, ou la perspective de son mariage ?

— Ces chiens ne devraient pas mériter que tu leur fasses une telle offre de paix, gronda-t-il. Ils devraient tous mourir pour ce qu'ils ont fait à Drakkon.

Mais c'était inutile d'en parler, il le savait. Keishi éprouvait le même sentiment que lui. Au détail près que c'était à lui de trancher dans ce dilemme insupportable.

— Je ferai ce qui doit être fait, lâcha enfin l'empereur. Tu n'as pas à t'en préoccuper.

Agacé, Akio, donna un coup de talon dans les flancs de son destrier pour lui faire faire un bond en avant et se mettre à la hauteur de son frère à qui il adressa un regard sévère.

— Je préfèrerai plutôt mourir que de te voir épouser la harpie de ce chien galeux. Je tenais à ce que tu le sache.

Keishi demeura impassible.

— Ça peut toujours s'arranger.

Akio soupira. La désinvolture de son frère avait de quoi le rendre fou.

Soudain, des cris retentirent derrière eux et le général Eiji et le général Kyogo se placèrent chacun aux côtés du prince et de l'empereur.

— Votre Majesté, nous les avons en visuel. Ils sont déjà là, les informa le général Kyogo.

— Cela veut dire qu'ils sont aussi pressés que nous d'en finir, murmura Keishi d'un air sombre.

L'entrevue n'était fixée qu'au zénith, et pourtant ils étaient déjà tous là alors que le soleil se levait à peine à l'horizon.

— Votre Majesté, tenez-vous en à ce que nous avons dit hier : n'approchez pas trop et gardez la tête froide, recommanda le général Eiji.

— Si elle tombe de mes épaules, elle va effectivement rester froide, répondit calmement l'empereur avec cynisme.

Le général jeta un coup d'œil au prince, mais ce dernier avait la mine sombre. L'humour noir de son frère était pour le moins douteux et témoignait d'un malaise intérieur que personne à part lui-même ne pouvait comprendre.

Keishi leva le poing et tous ses hommes s'arrêtèrent d'un seul coup, dans un silence de mort. Il se tourna à demi vers Akio, impassible, puis ordonna à sa monture d'avancer, suivi par son frère, seuls. En face d'eux, la masse sombre du groupe d'Ecthrosiens semblait elle aussi se scinder en deux ; le roi et un homme de confiance, et le reste de son régiment de soldats.