44 - Le Pavillon Pourpre (2/2)

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Dès qu'il entra, la tension et l'hostilité de la pièce s'envolèrent comme des oiseaux effrayés, et ne restèrent plus que de l'admiration et de la déférence. Ce changement, si radical, consterna Yu. Une chose était claire dans son esprit : elle ne devait plus jamais revenir au Pavillon Pourpre.

Contrairement à ce qu'elle avait instinctivement redouté en le voyant pénétrer ainsi dans le grand hall, la présence de Keishi la tranquillisa aussitôt. Il avait maintes fois prouvé qu'il pouvait se montrer attentionné envers elle, qu'il n'était pas seulement lunatique, violent parfois, avec un fort esprit guerrier.

Sans tout d'abord prêter attention à sa jeune épouse, il se campa à côté d'elle, les jambes écartées, face à l'alignement de ses dames qui formaient une haie d'honneur vers le reste du pavillon. Il était en tenue d'entraînement, tel que Yu s'était habituée à le voir depuis qu'il lui dispensait des cours de naginata. Elle avait complètement oublié sa leçon quotidienne !

Elle s'apprêtait à s'incliner à ses pieds pour excuser son oubli lorsqu'il parla, s'adressant aux concubines :

— Dame Shizuka.

Sa voix était calme mais ferme. Yu retint son souffle. Qu'avait-il en tête ? Il devait bien savoir, avant de se présenter là, qu'elle-même s'y trouvait.

Dame Shizuka, la Vénérable Aînée, la doyenne des concubines, s'avança légèrement vers le couple impérial, en glissant doucement sur ses genoux sur le parquet parfaitement ciré.

— Votre Majesté ?

Il y avait de la déférence dans ses deux simples mots, mais également une certaine suffisance que Yu ne manqua pas de noter et de détester immédiatement. Elle était si différente de ces femmes ! Comment Keishi pouvait-il l'avoir choisie, elle, l'enfant maudite de YingTai, pour représenter l'empire à ses côtés ?

Keishi posa un regard sévère sur sa concubine et lui parla d'un ton sec que Yu avait appris à connaître. C'était le ton qu'il employait lorsqu'il était contrarié.

— On m'a fait savoir que Sa Majesté l'Impératrice Kōmyō n'avait pas été reçue convenablement, à l'instant même.

Sous son maquillage blanc, Dame Shizuka pâlit. Les yeux de Yu s'écarquillèrent de stupéfaction, et elle se tourna vers Keishi pour intervenir, prenant instinctivement la défense de la grande dame qu'elle détestait pourtant déjà.

— Ce n'est pas...

L'empereur la coupa d'un simple signe de la main, sans lui adresser le moindre regard, ce qui la déboussola. Finalement, elle n'avait peut-être rien de spécial à ses yeux. Il ne l'avait épousée que pour rivaliser avec son frère.

— La kōgō Kōmyō est venue choisir sa dame d'honneur, et vous le saviez depuis des semaines. Son intendante vous a envoyé une messagère pour vous informer de sa visite. En tant que Vénérable Aînée, vous êtes responsable du Pavillon Pourpre. Pourquoi n'avez-vous pas accueilli votre impératrice comme il se doit ?

La dame était tellement sous le choc qu'elle ne trouva pas immédiatement les mots. Visiblement, elle ne s'attendait pas à ce que l'empereur apprenne sa conduite, et encore moins aussi rapidement. À croire qu'il était à l'affût du moindre manquement la concernant.

— Je suis confuse, Votre Majesté. J'ignore ce qui a...

— Moi je le sais, la coupa Keishi, le regard flamboyant. Et j'espère que cela ne se reproduira plus, à l'avenir.

— Je vous le promets, répondit aussitôt Dame Shizuka en s'inclinant le plus bas possible, le front contre le sol de bois.

Keishi se détourna rapidement d'elle et promena son regard d'aigle à la ronde. Il n'y avait pas un bruit dans l'espace rempli de femmes. Même à l'extérieur des murs la vie semblait s'être arrêtée. Yu elle-même cessa de respirer.

Drakkon - I - Le masque du dragonWhere stories live. Discover now