31 - Un concept étranger (1/2)

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— Je suis si heureuse d'être de retour ! s'exclama Yu en se précipitant dans son pavillon avec le même émerveillement qu'au premier jour.

— Et moi donc, l'appuya Senlinn en laissant entrer les quatre porteurs avec les coffres de voyage de sa maîtresse.

Elle avait retenu la leçon ; Pavillon de la Lune ou pas, elle laissait le travail de transport aux domestiques du sexe opposé. Elle ne risquerait pas de se blesser une seconde fois.

Lorsqu'ils eurent fini, elle rejoignit Yu qui s'était rendue dans le jardin pour admirer les changements survenus pendant son absence. La végétation était toujours aussi luxuriante et les fleurs d'été étaient en pleine floraison, drapant le jardin de couleurs éclatantes.

— Senlinn, vient voir ça ! s'exclama Yu.

La servante la rejoignit au pied de l'un des bassins dans lequel des carpes s'ébattaient parmi les nénuphars eux aussi en fleur. La jeune femme lui désigna l'un des poissons du doigt.

— Regarde ! On dirait que la famille s'est agrandie.

— Effectivement, je ne me souviens pas avoir vu celle-ci avant notre départ.

— Je me demande à quoi ressemble le Jardin du Soleil, à présent...

Senlinn releva la tête vers elle avec un regard sévère.

— Un peu de tenue, tout de même !

Yu lui jeta un regard malicieux et faussement choqué.

— Qu'est-ce que tu vas t'imaginer ?

— Je n'imagine rien du tout, au contraire. Je vois très clair dans votre petit jeu. Vous aimez le prince et il vous le rend bien. Vous n'avez pas arrêté de vous faire les yeux doux sur le chemin du retour. Seul un idiot ne l'aurait pas remarqué. Si toute la Cour n'est pas encore au courant pour vos fiançailles, eh bien, je suppose qu'ils s'en doutent fortement !

Yu s'empourpra.

— Quelle façon d'en parler...

Senlinn haussa les épaules.

— Disons qu'après les négociations entre Sa Majesté et le roi d'Ecthros, vous auriez pu vous montrer plus discrets, ne serait-ce que par respect des efforts et sacrifices consentis par l'empereur dans cette histoire.

Soudain, toute la gêne et le bonheur mélangés que Yu ressentait s'évaporèrent brusquement, remplacés par autre chose : la tristesse et la compassion. Car Yu n'avait pas pitié des autres, elle n'éprouvait que de la compassion. Elle ne considérait donc pas le malheur de Keishi en le comparant à son bonheur, mais cherchait à faire tout ce qui était en ses moyens pour changer cette situation.

Senlinn sursauta.

— Mes yeux me jouent-ils des tours ou vous pleurez ? murmura-t-elle.

Comme Yu portait son masque, il était difficile d'en être certain.

Ces propos prirent la jeune femme au dépourvu et elle glissa une main sous son masque, comme pour s'assurer du phénomène. Mais elle ne pouvait démentir les suspicions de Senlinn : elle pleurait.

— Pourquoi est-ce que je pleure ? souffla-t-elle dans un murmure.

Sa servante eut un regard peiné et s'excusa :

— Pardonnez-moi, c'est ma faute. Je n'aurais jamais dû vous parler d'un sujet aussi sensible.

— Non, non, ce n'est pas ça... C'est... Je ne sais pas pourquoi je pleure.

Drakkon - I - Le masque du dragonWhere stories live. Discover now